1.9. La cousinade

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Tous les dix ans avait lieu une cousinade réunissant les Favre de Lambrissac et les Lambert de Laigle, tout du moins ceux qui étaient disponibles ou qui avaient pu se libérer de leurs obligations ou n'habitaient pas à des milliers de kilomètres de la campagne mâconnaise.

Cette tradition datait de l'union imprévue d'Hortense et Serge. C'était à leur initiative et à force de conviction qu'ils étaient parvenus à éroder les murailles érigées, les a priori et les hostilités. Même si une certaine animosité subsistait au niveau des grands-oncles et grandes-tantes, les bambins des deux familles avaient eu tôt fait de partager les mêmes jeux et s'affranchir des aigreurs de leurs aînés.

De fait, tous les dix ans, ils alternaient ; un coup, la cousinade se passait dans la propriété des Lambert de Laigle, un coup, elle se déroulait chez les Favre de Lambrissac. D'habitude, elle avait lieu sur un week-end en mars – plus de trois jours les uns sur les autres et ça manquait de virer au charivari.

Cependant, en cette fin d'année 1999, à cause de la superstition du passage à un autre siècle, doublé de celui d'un nouveau millénaire, les deux côtés avaient décidé de passer les fêtes de Noël et du Nouvel An ensemble. Déterminer qui des Favre ou des Lambert remporteraient le grelot de l'accueil avait relevé du bras de fer ! Finalement, les Lambert avaient gagné – si on pouvait considérer comme une chance de se ramasser toute l'organisation des chambrées selon les affinités et les susceptibilités de chacun, ainsi que la préparation des repas !

Quant à savoir qui viendrait, le tri était vite-fait du côté des Favre. En effet, les cousins exilés aux Etats-Unis au début du siècle dernier ne venaient quasiment jamais en France. Pour ainsi dire, les liens étaient presque inexistants ; en particulier depuis la mort en 1979 de Pétronille Smith, Favre de Lambrissac par la naissance – une grand-tante éloignée d'Hortense.

Le choix était encore plus restreint quand on savait qu'Ézéchiel, l'ultime descendant de Blaise Favre de Lambrissac, avait succombé à la diphtérie a tout juste cinq ans, malgré son prénom conforme. Anecdote tragique que les anciens radotaient à la moindre occasion et qui faisait frémir tous les marmots.

Néanmoins, la descendance d'Eulalie, préservée par la malédiction grâce à l'intelligence de ses enfants et petits-enfants, pouvaient compter sur la famille de l'oncle Marius, décédé en 1970. Malgré quelques ratés comme ses fils Silouane et Lucien ou encore sa fille Priscilla récemment défunte qui, à l'instar de son père, n'avait eu que faire de la malédiction, certains avaient été sauvés de tares incurables grâce au bon sens de leurs parents. Il y avait les jumeaux de Quitterie, Noé et André, et les trois enfants de son frère, Christophe. Les fils d'Antonin n'avaient pas eu cette chance ; leur père étant lui-même trop atteint par le scepticisme malgré les quelques aventures effroyables qu'il avait endurées.

Par peur irrationnelle de la contagion, bien souvent, les damnés des deux familles n'étaient ni conviés ni prévenus des cousinades. Tout risque était ainsi évité d'effrayer ou de fasciner leurs progénitures impressionnables en mal de danger.

Du côté des Lambert, outre la famille d'Odile, fille de Clarisse la Terrible, dont descendait Serge et ses sœurs, on pouvait compter sur la présence du cousin issu-de-germain Raymond. Psychanalyste, il était obsédé par le sort sinistre de ses grandes sœurs, Frédérique et Dominique. Mais toutes ses tentatives pour enrayer la malédiction avaient échoué. Ses tantes, Magalie et Noëlle, n'étaient pas mieux loties, niveau tares.

De la famille de Paule – la fille aînée de Clarisse –, il n'y avait que quatre de ses arrières-petits-enfants qui avaient été épargnés par la malédiction étant des garçons : Raymond, bien sûr, mais aussi Grégoire, Florent et Olivier – les fils de Lila. Le premier était un globe-trotteur chevronné, toujours par monts et par vaux pour ses reportages sur les conflits – l'Inde en proie aux massacres entre hindoues et musulmans, le Rwanda, les Balkans, etc. – ; le deuxième un trompettiste reconnu à l'internationale ne restant jamais plus de quelques semaines dans sa maison perdue au milieu de nulle part dans la Creuse ; et le troisième était un humoriste en pleine gloire qui faisait peu de cas de ses proches. Donc, peu de chance que l'un des trois se pointe à la cousinade.

La Malédiction des prénoms ou Huit Jeunes femmes en fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant