À l'heure des grandes vacances, habituellement synonyme de quiétude, bains de soleil à l'excès, baignades, idylles estivales et soirées tardives en pagaille, Jacynthe ne jurait que par révisions et préparation en vue de l'année suivante. Ses études de médecine focalisaient son attention, pompaient son énergie. Son regard était fiévreux, animé par une force à toute épreuve. Un parcours sans faute depuis son entrée à la faculté de médecine de Lyon. Ses camarades l'enviaient, la jalousaient ou l'admiraient. Bien peu lui offraient une amitié sincère, dénuée d'intérêt ou de projets machiavéliques pour la faire échouer. Mais malgré les ornières creusées volontairement sur son passage, l'étudiante les évitait avec une habileté incroyable, ce qui attisait les animosités. Toutefois, sa bonne étoile veillait au grain.
Si Jacynthe faisait la fierté de ses parents et de ses sœurs, il persistait chez la jeune femme l'impression incompréhensible d'être une étrangère parmi eux. Qu'est-ce qui clochait donc ? Cette question, elle se l'était posé mille fois sans trouver le moindre début de réponse. C'était aussi frustrant qu'anxiogène. Alors, elle s'enfermait à double tours dans sa chambre et se plongeait sans relâche dans ses manuels et ses classeurs ; le plus sûr moyen de noyer son sentiment d'être une outlander était son irrépressible besoin d'engranger tout le savoir du monde sur le corps humain. Pourtant, elle ne visait pas la chirurgie ou une spécialité pointue ; non, elle envisageait d'être simple médecin généraliste.
La migraine tenaillant ses tempes, la jeune femme s'expulsa de sa chaise, ouvrit sa fenêtre en grand et se posta en tailleur sur le rebord, accoudée à la rambarde en fer rouillé. Les éclats du soleil jouait avec sa chevelure acajou. Derrière ses paupières closes, une peinture abstraite évoluait en fonction de l'astre et des nuages. Violet aubergine sur fond bleu canard, chassés par un vert tendre, suivi d'un rouge brique et un jaune éblouissant. Peu à peu le mal de tête refluait, cessant de la tarauder. Alors, Jacinthe commença à percevoir les babillages de ses neveu et nièces, de ses sœurs et de sa mère.
Sous la pergola, le goûter faisait l'objet de toutes les convoitises. Violette, finaude, chapardait discrètement tout en distribuant à la ronde sourires enjôleurs et boniments. Elle mentait diablement bien pour son âge ! Jacinthe en était chaque fois choquée. Gad, lui, se racontait un tas d'histoires avec ses meilleurs amis les Playmobil dans sa bassine d'eau.
En contre-bas de la grande pelouse, loin du capharnaüm estival causé par sa marmaille, Serge bichonnait son potager. Avec la patience d'un ange, il retirait les gourmands des pieds de tomates pour favoriser la pousse de ces globes juteux aussi bien Cœurs de bœuf, Noire de Crimée, Green Zebra, tomates côtelées noires et jaunes, aumônières que Torino – véritable régal pour les yeux et les papilles, splendide aquarelle pour Garance –, il arrosait et ramassait aussi les courgettes de la taille de massues et les haricots violets grimpants, les fraises, framboises, mûres, pommes-de-terre, oignons, poireaux, blettes et salades. Bien sûr, il ne manquait pas de réquisitionner son troupeau pour l'aider dans ces tâches souvent fastidieuses. Surtout lorsqu'il s'agissait de dézinguer les limaces trop voraces. Ah pour cette dernière activité, il n'y avait pas besoin de brandir la carotte, l'âne avançait de lui-même ! C'était à qui lancerait le plus loin cette sale petite bête ou à qui serait décerné le titre de « plus grand zigouilleur de limaces de tous les temps » ! Ce n'est pas que les Favre-Lambert avaient une dent contre les gallinacées mais il était nécessaire de protéger les cultures menacées par ces gloutonnes insatiables. Les doryphores, pucerons et courtilières faisaient aussi partie des insectes maudits du potager. Pourtant, si limaces et autres indésirables s'étaient gentiment contentés du compost et de creuser leurs galeries souterraines ailleurs que dans le potager, la cohabitation aurait été parfaite. Cependant, certains insectes trouvaient grâce aux yeux de la famille nombreuse, tels que les coccinelles et les lombrics. À ceux-là, on formait une allée royale avec le tapis rouge, s'il vous plaît ! Quant aux verres-de-terre écorchés ou tués par accident, l'enterrement était aussi digne que pour les autres animaux découverts morts dans la rosée à cause d'un chat, d'un renard ou autre.
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La Malédiction des prénoms ou Huit Jeunes femmes en fleurs
Ficción GeneralChronique d'une fratrie de huit sœurs aux tempéraments aussi différents qu'affirmés à travers plusieurs décennies. Il y a Fleur l'acharnée du boulot, Roselys la trop raisonnable, Iris la cavalière, Garance la dessinatrice passionnée, Jacinthe la "ou...