Élancée, la prunelle pétillante et la moue arrogante, il était impossible de rater l'entrée fracassante de la benjamine des Favre-Lambert. À sa suite, chargés comme des mules, Roselys et Esteban échangeaient force soupirs et ronchonnades. Ils venaient de passer leur pire trajet. Supporter pendant près d'une heure les jérémiades intempestives et très égoïstes de Violette équivalait à de la torture mentale.
- C'est fou comme rien ne change jamais dans cette bicoque ! s'exclama la râleuse, poings sur les hanches. Toujours la même peinture jaune pisseux, le même crépi qui part en lambeau, le porte-manteau déglingué, l'escalier branlant qui manque de s'écrouler chaque fois qu'on l'emprunte !
- Bonjour à toi aussi, grommela Églantine en se plantant devant elle.
Un rictus sardonique déformant ses lèvres pourpre, Violette observa sa sœur aînée.
- Pas d'insulte pour m'accueillir cette fois-ci ? ironisa-t-elle. Tu te serais enfin assagie ? Miracle !
- Je sens que ce confinement va être un vrai bonheur...
- J'espère que tu auras le bon goût de t'enfermer à double-tours dans ta chambre qui sent le fauve.
- Vivi, tu n'auras pas ma haine, la rembarra Églantine en paraphrasant le titre du témoignage d'Antoine Leiris au sortir des terribles attentats de 2015. Besoin d'aide, Lilys ?
- Ce ne serait pas de refus ! Tiens, prends-moi ça !
Et plantant là la mouche du coche, le trio grimpa à l'étage jusqu'à la chambre de Roselys, transformée en chambre d'amis à l'instar des autres. Après avoir déposé son fardeau sur le lit double qu'Hortense avait préparé le matin même en prévision de leur arrivée, Églantine s'éclipsa.
Au rez-de-chaussée, ravalant son humeur de chien méchant, Violette était sortie dans le jardin pour saluer ses parents - deux vieux croulants de son avis personnel mais à qui elle portait tout de même une vive affection. Ils échangèrent des nouvelles banales, la jeune femme gardant sa surprise pour le dîner.
Au cours de la soirée, Violette fit tinter son verre de sa petite cuillère. Toutes ses sœurs n'étaient pas présentes - Iris, Jacynthe et Fleur, bien entendu, mais aussi Capucine qui arriverait le lendemain matin à la gare de Bourg-en-Bresse où Garance l'accueillerait avant de débarquer toutes deux à la maison. Tant pis, elle n'en pouvait plus d'attendre.
- J'ai une annonce à vous faire !
Une série de « oh » inquiets, surpris et méfiants y répondit.
- Je vais monter ma propre entreprise à la fin de mon master.
On l'en félicita jusqu'à ce que Serge s'interroge sur la nature précise de son projet.
- Eh bien, vous connaissez mon esprit rusé...
- On en a surtout fait les frais, s'amusa Églantine.
- Je te remercie pour cette interruption d'une grande utilité, railla la benjamine. Je disais donc que vous connaissiez toutes et tous mon esprit rusé. Alors, voilà mon projet : créer une entreprise du style farce et attrape.
- Tes ambitions politiques sont terminées ? s'étonna Hortense, un peu déçue de la nouvelle.
- Oui, maman. Je sais que tu aurais adoré avoir une fille en politique mais, je ne suis pas assez altruiste.
- C'est un euphémisme, marmonna Églantine.
Violette ne releva pas. Dans son esprit, les souvenirs avaient jailli.
Elle se rappelait sa grande excitation chaque année au moment du concours Miss France auquel elle avait longtemps rêvé de participer et, bien sûr, d'en remporter le titre. Jusqu'à ce qu'elle réalise qu'être en partie sélectionnée pour son physique ne l'intéressait guère, encore moins de devoir supporter la concurrence en se comportant comme la fille sage et gentille qu'elle n'avait jamais réussi à devenir. Il y avait aussi eu son rêve d'être élue présidente ou journaliste et présenter le journal télévisé. À une époque, elle imitait les postures et les intonations des présentateurs à l'excès.
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La Malédiction des prénoms ou Huit Jeunes femmes en fleurs
Ficción GeneralChronique d'une fratrie de huit sœurs aux tempéraments aussi différents qu'affirmés à travers plusieurs décennies. Il y a Fleur l'acharnée du boulot, Roselys la trop raisonnable, Iris la cavalière, Garance la dessinatrice passionnée, Jacinthe la "ou...