De ce monde

Chapitre 1 : 2

   Au fur et à mesure que le temps passe, mon paquetage me semble peser de plus en plus lourd. Je n'ai jamais été très musclé. Lorsque mon père a besoin d'aide pour transporter des outils ou ma mère d'eau venant du puits, ils font en général appel à mon frère. En revanche, j'ai toujours su me montrer patient. Si une corvée laborieuse se profile, je suis quasiment certain que celle-ci va me revenir.
   Ma sœur insiste parfois pour m'aider. J'ai quatorze ans, elle sept. Elle s'applique toujours, mais cela ne dure pas. Au bout d'un moment, elle commence à trépigner. Elle se montre brusque, moins précise. Son travail n'est alors plus qu'une pâle copie de ce qu'elle a réalisé au début.
   Je laisse ces pensées de côté pour me concentrer sur la route. La berge n'est pas un sentier à proprement parler. La plupart des tiges et brindilles qui y poussent m'arrivent à mi-mollet. La terre est compacte, argileuse. Chacun de mes pas laisse une empreinte peu profonde dont je dois m'extirper.
   Mon regard scrute les environs. Les champs laissent place à des pâturages, qui eux-mêmes laissent place à des champs. Je finis par remarquer un verger sur la rive opposée. L'eau étant assez peu profonde en cette saison, il m'est possible de traverser à pied.
   Je m'assieds dans l'herbe et retire mes chaussures. Une fois les lacets noués entre eux, je place la paire sur mes épaules. Je retrousse mon pantalon et pose mon baluchon sur ma tête.
   Le courant est faible, mais il suffit de glisser sur une pierre pour finir trempé jusqu'à l'os. J'avance prudemment, vérifiant mes appuis avant d'envisager de passer sur un seul pied. J'arrive de l'autre côté avec mes affaires encore sèches. Mon bas est mouillé jusqu'au-dessous des fesses. Peu importe ; plus il fera chaud, plus je serai heureux d'avoir des vêtements frais.