De ce monde

Chapitre 1 : 3

   Je sillonne les rangées d'arbres, à la recherche de fruits mûrs. La plupart des pommes sur les branches ont encore la peau verte. Certaines sont abîmées par les parasites ou la grêle. Je grimace, déçu de ne pas trouver mieux.
   — Mon père ne serait pas content de voir un voleur chez nous.
   Surpris, je me retourne brusquement. Une jeune fille me fixe, un léger sourire aux lèvres. Elle a de longs cheveux blonds, porte un tablier trop grand sur sa robe à carreaux, et doit avoir une douzaine d'années. Je reste silencieux, n'ayant aucun moyen de me défendre. Je comptais effectivement prendre quelque chose qui ne m'appartient pas.
   La jeune fille me regarde alors que je baisse les yeux. Elle approche en se dandinant, les mains cachées dans son dos.
   — Je ne dirai rien, promis, et je peux t'en donner quelques-unes. Il y a juste une condition.
   — Laquelle ?
   Elle ne répond pas tout de suite. Ses joues rosissent. Elle fourre ses mains dans la poche de son tablier. J'entends à peine sa requête.
   — Un bisou...
   Je reste hébété. Cette fille me demande de l'embrasser alors que je ne la connais même pas. Certes, je la trouve jolie, mais je n'en ai absolument pas envie sur le moment. Après réflexion, je me rends compte que j'ai encore moins envie de me faire reconduire chez mes parents par un arboriculteur en colère.
   Je me penche en avant. La jeune fille se raidit. Je la vois hausser les sourcils, étonnée que son drôle de stratagème fonctionne. Je dépose un baiser sur sa joue. Cette dernière est douce, couverte d'un fin duvet.
   Je me redresse. La jeune fille croise les bras. Elle marmonne.
   — Ce n'est pas exactement ce que j'imaginais... Viens, suis-moi.
   Nous traversons le verger. La jeune fille s'arrête auprès de quelques arbres.
   — Tiens, prends celle-là. Au fait, comment tu t'appelles ?
   — Cetus, et toi ?
   — Moi, c'est Cynthia.
   Elle me donne au total cinq petites pommes, soit bien plus que je ne l'aurais espéré étant donné le prix qu'elles m'ont coûté.