Chapitre 1

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Un vent glacial soufflait sur la ville de Cora. Ce n'était pas étonnant vu que l'hivers était arrivé il y a de cela trois semaines dans la capitale. Eschyle, prince du royaume de Nantos, admirait le va et vient des habitants depuis une fenêtre du palais royal. La légère chemise de lin qu'il portait laissait penser qu'il ne sentait pas le froid et d'aucuns diraient que ses cheveux couleur flamme étaient la preuve que son corps brulait assez pour ne pas avoir besoin de source de chaleur supplémentaire. La vérité était toute autre. Si Eschyle ressentait l'évidente baisse de température, il était bien plus préoccupé par ce qui se passait dans sa capitale. Parce que les habitants de Cora ne faisaient pas qu'aller et venir ; ils le maudissaient lui et toute sa famille à chacun de leurs pas.

Eschyle ne pouvait même pas leur en vouloir. Il savait de première main à quel point le règne de son père leur pesait. Le roi Hermon était un souverain tel que Nantos n'en avait pas vu depuis maintenant des dizaines d'années. Il était cruel, égoïste et arrogant. Et comme si ça ne suffisait pas, il ne pouvait pas être plus désintéressé du sort de ses sujets. Le peuple crevait de famine, les emplois se faisaient de plus en plus rares, les taxes de plus en plus élevées et ce, pendant que leurs dirigeants vivaient dans un luxe insolant.

Ça avait commencé comme un écho, un murmure dans le vent auquel on ne prête pas vraiment attention. Puis au fur et à mesure que le temps passait, ces mots qui ne se disaient que tout bas s'entendaient à présent haut et fort dans les coins de rues.

« - À bas le roi Hermon ! »

La ville de Cora en avait marre, le royaume de Nantos tout entier ne pouvait plus le supporter. Le règne de leur affreux souverain n'avait que trop duré. Ils comptaient y mettre fin quoi qu'il en coute. En d'autres termes, une révolution se préparait et avec elle, un inévitable bain de sang dans une lutte longue et acharnée entre monarques et paysans. Juste en posant son regard sur la ville, Eschyle pouvait la sentir, la menace qui rodait, le danger toujours plus proche et leurs vies changées à jamais.

Il se détourna de la fenêtre et marcha d'un pas déterminé dans la salle à manger où se trouvait son père. Le roi Hermon était affalé dans un canapé pourpre, cinq serviteurs autour de lui, qui s'assuraient qu'il n'ait pas à lever le moindre petit doigt pour faire parvenir la nourriture à son palais. Une jeune servante était sur ses cuisses, elle venait à peine de faire passer un morceau de viande entre ses lèvres et Hermon suçait avidement son index et son majeur sur lesquels la sauce avait coulé. Au moment où Eschyle arriva devant le roi, ce dernier leva le bras qu'il avait autour des reins de la servante et claqua bruyamment une de ses fesses. La jeune fille, habituée à ce genre de traitement, ne scilla même pas et continua simplement de nourrir Hermon.

''- Eschyle, dit le roi en voyant son fils, tu nous fais l'honneur de ta présence.''

En effet, le jeune prince passait le moins de temps possible aux cotés des membres de sa famille, entre autres à cause du genre de scène qu'il avait sous les yeux et qui étaient le quotidien au sein du château. Il avait de moins en moins de patience pour le comportement de son géniteur.

« - Peut-être que tu devrais faire de même et faire l'honneur de ta présence au conseil, rétorqua Eschyle.

- Rah, beugla Hermon en agitant une main dans la direction de son cadet. Je laisse ton frère se charger de ça. »

C'était bien ça qui préoccupait Eschyle. Son grand frère Icare, prince héritier de Nantos, était la dernière personne qui aurait dû diriger le conseil des ministres. La couronne n'était pas la seule chose qu'Hermon avait passé à son fils ainé. Sa cruauté, son égoïsme et son arrogance se voyaient mille fois plus chez Icare. Le prince héritier n'était pas mieux que le roi et si vraiment il montait sur le trône, Eschyle voyait déjà le désastre qui s'en suivrait. Ce qui se passait ces derniers mois en était la preuve. Hermon laissait de plus en plus le champs libre à son fils, officiellement pour qu'il s'entraine dans la fonction qu'il ne tarderait pas à occuper ; même si en réalité, le roi en avait tout simplement par-dessus la tête de tous les problèmes de son peuple. Icare n'avait que faire de ce qui n'allait pas dans les rues de Cora ou dans les vies des habitants de Nantos. Tout ce qui l'intéressait c'était de remplir toujours plus la trésorerie royale et ce bien sûr, aux dépens des pauvres paysans. Si au moins Icare le laissait assister au conseil, Eschyle aurait essayé de pousser les décisions dans une autre direction mais son idiot de frère ne voulait pas sentir sa présence, convaincu de savoir tout sur tout mieux que quiconque.

« - Icare va tuer nos habitants avec ses taxes exorbitantes, répondit Eschyle. Les gens vont jusqu'à faire travailler leurs enfants à bas âge pour pouvoir payer. Tu dois lui dire d'arrêter cette folie.

- C'est ma soi-disant folie qui te permet de vivre aussi bien que tu le fais, cher petit frère. »

La voix d'Icare parvint aux oreilles d'Eschyle avant qu'il ne se rende compte qu'il était juste derrière lui. Eschyle se retourna pour lui faire face. Deux yeux dorés, identiques aux siens, le dévisageaient hautainement. Les longs cheveux roux d'Icare étaient noués sur sa nuque, laissant la place à la couronne en fer forgé sur sa tête. On aurait dit qu'on la lui avait clouée tant il ne s'en séparait jamais. Leurs traits physiques étaient la seule chose que les deux frères avaient en commun. Leurs personnalités étaient à des pôles opposés.

« - On vit déjà mille fois mieux que la totalité des habitants du royaume, répondit Eschyle. Pas besoin d'en rajouter.

- Voilà pourquoi je dirige et pas toi, contra Icare dans un rire moqueur. Si je n'augmentais pas les taxes, on se retrouverait comme ces gueux plus vite que tu ne crois.

- Qu'est-ce que tu racontes ? demanda Eschyle le visage plein d'incompréhension.

- Les caisses sont presque vides, répondit Icare. Et avec l'hiver, le peu qui reste sera vite épuisé.

- Comment c'est possible ? dit le plus jeune prince qui ne s'expliquait pas comment ils en étaient arrivés à une situation pareille. »

Icare croisa les bras et porta son regard sur le roi. Hermon s'était bien vite désintéressé de leur conversation. Un autre serviteur avait pris la place de la jeune servante sur ses cuisses et leur père avait plongé sa tête dans son cou qu'il embrassait sans se soucier du monde autour de lui. Le prince héritier hocha la tête dans sa direction et Eschyle tordit son cou pour voir ce que son frère lui indiquait dans son dos.

« - Regarde le, dit-il. Il ressemble à quelqu'un qui faisait des économies ? Il a dilapidé les caisses et maintenant il ne nous reste plus rien. Je ne sais pas toi mais je refuse d'être un prince qui vit dans la misère.

- Ce n'est pas au peule de payer pour ses erreurs, fit remarquer Eschyle.

- Ce n'est pas à moi non plus, retorqua Icare. Et pour tout te dire je sacrifierai la vie de tous ces souillons si ça veut dire que je peux remplir les caisses. »

Sans attendre d'autres mots de sa part, Icare quitta la salle. Quand Eschyle regarda de nouveau son père, ce dernier avait presque complètement déshabillé le serviteur. Apparemment, il ne comptait pas s'embêter à aller dans ses appartements pour leurs ébats. Estimant qu'il en avait vu assez, Eschyle aussi les laissa, secouant la tête, dépité.

Nantos [MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant