Chapitre 2

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Icare avait beau interdire à Eschyle d'assister au conseil, il ne pouvait pas l'empêcher de parler aux ministres en dehors. C'est pour cette raison que ses pas le portèrent au bureau de Dayane. La trentenaire était surement la personne à qui il faisait le plus confiance dans tout le conseil. Elle faisait partie de la cour royale depuis quinze ans donc Eschyle la côtoyait depuis son plus jeune âge. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il la considérait comme une figure maternelle, Dayane manquait cruellement de la douceur qui va avec, mais la ministre était certainement sa meilleure conseillère.

Eschyle frappa deux coups à la porte avant d'entrer dans le bureau. Dayane, qui semblait être rentrée depuis peu du conseil, retirait sa veste en roulant ses épaules, faisant craquer quelques articulations rouillées. Comme toujours, sa tête avait manqué d'exploser plus d'une fois pendant le conseil, les stupidités que déblatérait Icare toujours à l'ordre du jour.

« - Ne me dis rien, commença Eschyle en se passant de salutations. Icare n'a voulu parler que des taxes et de leur augmentation.

- C'est à croire que c'est le seul mot de son vocabulaire, soupira Dayane. Trois heures de conseil et pas un seul autre sujet n'a été abordé.

- Il vient de me dire que les caisses sont vides. C'est vrai ? »

Dayane lâcha un autre soupir. Elle n'avait pas voulu le dire au jeune prince pour ne pas l'inquiéter. C'était sans compter sur la grande bouche d'Icare.

''- Malheureusement oui, avoua-t-elle. Depuis la semaine dernière, nous sommes sérieusement dans le rouge.

- Et des taxes plus lourdes, c'est la solution ? s'enquit Eschyle.

- C'est une solution, souligna Dayane. Ton frère n'a visiblement pas envie d'en envisager d'autres.

- À croire qu'il ne se rend pas compte que si tout le monde meurt sous le poids de ce qu'il faut payer, il n'aura plus personne à diriger. »

La ministre ne savait pas s'il s'en rendait effectivement compte ou non. Mais elle ne doutait pas qu'Icare s'en fichait royalement. Tant que lui mangeait et buvait plus qu'à sa faim, les autres pouvait bien crever. Elle avait bien essayé de lui faire entendre raison, mais le prince héritier était une vraie tête de mule. Et le fait que beaucoup d'autres ministres, comme lui, ne voyaient que leurs propres intérêts, n'arrangeait pas les choses. Ils se contentaient de le caresser dans le sens du poil. Comme Dayane ne disait rien, Eschyle continua :

« - La révolution se prépare Dayane, le peuple va se soulever d'un moment à l'autre et mes idiots de père et de frère ne le voient même pas. Il faut qu'on fasse quelque chose.

- On ? demanda l'autre. De quel 'on' parles-tu au juste ? Parce je te ferais remarquer que ni toi ni moi n'avons l'autorité nécessaire. »

Soudain, les méninges dans le cerveau d'Eschyle se mirent à tourner d'elles-mêmes. Une idée lui vint à l'esprit. Et avant même de se rendre compte de ce qu'elle impliquait, il la dévoilait à la ministre :

« - Et si je faisais en sorte d'avoir l'autorité ? »

Dayane plissa ses yeux bruns, incertaine de la direction que prenait la conversation.

« - Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle.

- Il faudrait que je devienne roi a la place d'Ic...

- Je t'interdis de finir cette phrase ! le coupa Dayane en haussant la voix. »

Elle alla correctement fermer la porte qu'Eschyle avait laissé entre-ouverte et vint se placer tout juste devant lui. Ses mains agrippèrent fermement les bras du jeune homme et d'un coup sec elle le tira vers elle de sorte que leurs visages ne soient plus qu'à quelques millimètres l'un de l'autre. Vu qu'elle était légèrement plus grande, elle dut baisser la tête avant de murmurer :

« - Tu as perdu l'esprit pour dire une chose pareille à voix haute ? Ça relève de la haute trahison. Bonne chance pour garder ta tête sur tes épaules si quelqu'un l'apprend. »

Eschyle la fixa, la panique claire dans le regard de la ministre. Elle n'avait pas tort, parler d'usurper le trône à l'héritier légitime valait tout bonnement la peine de mort. Et vu qu'Icare n'était pas son plus grand fan, il le voyait difficilement épargner sa vie. Mais ils seraient tous morts dans bientôt de toutes façons s'il ne faisait rien.

« - Le peuple ne se contentera pas de nous prendre le pouvoir, dit Eschyle, la voix grave. Ils feront rouler nos têtes une par une jusqu'à ce qu'il n'y ait plus ne serait-ce qu'un seul de nous en vie. »

Dayane avala difficilement sa salive. Le sérieux du jeune prince envoya un frisson le long de son échine. Le peuple était au bord de la révolution oui, mais elle ne pensait pas qu'ils iraient jusqu'à tuer leurs souverains. Mais pourquoi ne le feraient-ils pas ? Leurs dirigeants les faisaient bien mourir à petit feu sous leur régime insupportable. Ce serait seulement leur retourner la faveur.

« - Je comprends, dit-elle enfin. Mais usurper le pouvoir a ton père, à Icare ! C'est de la pure folie. Si jamais ça tourne mal...

- Je préfère prendre ce risque plutôt que d'attendre de me faire trucider par des fourches de paysans, expliqua Eschyle. Je vais mettre un plan sur pieds. Tu vas m'aider ou non ? »

Il avait parlé avec le maximum de fermeté, presque comme s'il ne lui laissait pas le choix. Mais il était conscient qu'il n'irait pas bien loin sans un soutien interne, son soutien a elle, et quelle n'avait absolument aucune obligation de lui apporter son aide. Dayane relâcha sa prise sur lui et passa une main rageuse dans ses courtes mèches brunes. Elle y réfléchit un instant et donna finalement sa réponse :

« - Je te couvre. Pense à comment tu veux procéder. Mais ne fais rien avant de m'en avoir parlé, c'est clair ? »

Un petit sourire au coin des lèvres, Eschyle hocha la tête.

« - Limpide. »

Nantos [MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant