Evan & April - Réécriture

10 - April

Après ma visite au cimetière, je passe chercher ma mère. Les infirmières semblent soulagées de me la rendre. Ce que je comprends. Ma mère ne me sourit pas et ne me dit pas bonjour. En même temps depuis le temps qu'elle est à l'hôpital, elle n'a pas pu toucher à une seule goutte d'alcool donc elle commence à être en état de manque. Elle rentre dans la voiture sans décrocher un mot. C'est finalement quand je passe devant un supermarché que j'entends sa voix rauque et cassée.

- Arrête-toi là. Je m'arrête et la regarde sortir. Puis elle revient.

- Passe-moi de l'argent. Je me mords la lèvre assez fort pour faire couler du sang.

- Maman... Son regard, dénué d'émotion, me rappelle que discuter ne sert à rien. Alors je sors un billet de mon portefeuille et le lui donne. Elle repart pendant que je laisse couler amèrement les larmes sur mon visage.

Elle ne me parle jamais. Sauf quand elle est assez bourrée pour me cracher des horreurs au visage. Elle est horrible, détestable, immonde, pathétique... Et pourtant, à chaque fois, je continue de prendre soin d'elle. À chaque fois, je m'occupe d'elle.

Parce que peu importe ce qu'il adviendra, c'est ma mère et je l'aimerai pour toujours.

Mais parfois, j'ai envie de couper les ponts, de sortir de la ville et ne plus jamais y revenir. Couper les ponts avec ma mère et mon oncle. Ne plus jamais vivre les moments d'ivresse de ma mère. Ne plus jamais la voir se pisser dessus, ne plus jamais l'entendre me crier dessus, ne plus jamais la voir nue dans son bain les cheveux gras et les yeux dénués d'émotion, ne plus jamais la voir pleurer avachie à la table sa bouteille dans les mains... Sauf que je ne peux pas. Parce que c'est ma mère. Alors peut-être qu'elle ne m'aimera jamais, mais moi, je l'aimerai toujours et je m'occuperai toujours d'elle. Pas pour elle, ni pour moi. Mais pour le membre fantôme de cette famille. Pour mon père.

La frêle silhouette de ma mère sort du magasin, un paquet de bière à la main. Ses cheveux, propres comme à chaque sortie d'hôpital, ne sont qu'un rappel douloureux que je suis sa fille et que malgré tout, nous avons des points communs.

Elle décapsule une bouteille sur le rétro d'une voiture, j'écarquille les yeux et prie pour que le propriétaire de la voiture ne soit pas là. Ma mère monte dans la voiture sans un mot et sans me rendre la monnaie.

- Je suis allée sur la tombe de papa.

Aucune réponse.

Elle boit sa bouteille, sa main tremblant contre le verre. Son t-shirt noir, élimé tombe sur sa silhouette grisonnante et presque sans vie.

- Cet homme n'est pas ton père. Mon cœur bat douloureusement dans ma poitrine et je m'accroche au rire de Cassie, Milann, Samson et d'Evan, pour ne pas laisser mes larmes couler.

Christian Sands est mon père, j'en ai la certitude puisque j'ai fait un test de paternité. Seulement ma mère m'a toujours vu comme la cause de son malheur. Et son malheur, c'est la perte de l'homme qu'elle aime. Donc c'est de ma faute.

- Maman, j'ai...

- Ne m'appelle pas comme ça. Elle crache ses mots comme du venin, sa bouteille vide passe par la fenêtre avant que je n'aie pu dire quoi que ce soit.

L'envie de me garer, de la faire descendre puis de m'en aller sans jamais revenir me traverse l'esprit. Sauf que je ne peux pas faire ça. Je n'ajoute rien de plus, il ne sert à rien de discuter avec ma mère quand elle est sobre, ni quand elle est bourrée.

Parfois, j'ai espoir qu'elle se rende compte du monstre de méchanceté et d'aigreur qu'elle est devenue. Des fois dans un élan de bonheur, je me dis qu'un jour elle ira en désintox et qu'elle reviendra sobre. Puis je regarde ses yeux marron - si semblables aux miens - et le vide froid et noir que j'aperçois me fait comprendre que seul son corps est encore sur terre, son cœur est monté il y a bien longtemps rejoindre sa moitié.