La ville vivait au ralenti. Les rues étaient vides de badauds, semblable à l'image clichée que l'on se faisait, dans le passé, d'une vie postapocalyptique. Pourtant, la vie n'avait pas désertée la ville. Et s'était simplement retranchée dans les immeubles, les maisons. Seuls pouvaient encore sortir les employés de certains secteurs d'activité. Essentiellement les forces de l'ordre. Pour les autres, les confinés, la vie se rythmait au gré des robots qui passaient hebdomadairement délivrer des rations à chaque foyer.
La sirène d'une voiture de police hurla dans la nuit, tandis qu'un gyrophare balayait de sa lumière tournoyante les façades inanimées des bâtiments. Tony se recroquevilla un peu plus derrière la poubelle qui le dissimulait, assurant sa prise sur son arme. Il n'avait pas le droit d'être dehors, et s'il se faisait prendre, il était certain de finir sa vie prématurément.
Un mois plus tôt, les Dorés avaient mis en place un couvre-feu, durcissant un peu plus le confinement imposé à la population depuis deux mois. A l'origine de cette mesure drastique, une étrange maladie qui faisait des ravages au sein de la population. Les Dorés avaient beaucoup communiqué dessus, sur son origine, sur les mesures exceptionnelles à prendre pour l'enrayer, et autant de blablas que la Plèbe s'était empressée d'avaler par ignorance de la vérité. Or Tony la connaissait, lui, la vérité. Il savait que tout ce battage médiatique n'était qu'une façade, un écran de fumée pour cacher au monde les vraies raisons de cette épidémie. Tout était faux. Il n'y avait pas de maladie. Tout n'était qu'une vaste supercherie destinée à cacher l'essentiel : la population de la ville participaient, sans s'en douter, à une expérience scientifique organisée par IzunaCorp Industries, le magnat de l'industrie pharmaceutique militaire. Et si Tony en savait autant, c'est parce qu'il travaillait à la Izuna Tower, le siège de l'entreprise, en tant qu'agent de haute sécurité. Et maintenant, le voilà qui tentait tant bien que mal de rejoindre la Fosse, le seul secteur de la ville où l'on ne penserait pas à aller le débusquer. Le seul endroit où il pouvait encore servir à quelque chose.
Deux semaines auparavant, il avait reçu un message anonyme, impossible à tracer. Dedans s'y trouvait le dossier complet des tests effectués sur la population. S'il avait fait son devoir, il serait allé directement voir son supérieur pour régler ce problème de sécurité flagrant. Mais au lieu de cela, il avait commencé à fouiner, à glaner autant de précieuses informations qu'il le pouvait. Et ce qu'il avait découvert était bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer. Cette phase de tests n'était qu'un préambule.
Malheureusement, il avait sûrement manqué de discrétion, car, la veille, un de ses collègues avait essayé de l'abattre dans le parking. Il s'en était tiré de justesse, et avait pris la fuite, laissant derrière lui un cadavre et le peu de doutes qu'il aurait encore pu avoir. Dans l'heure qui suivi, il avait de nouveau reçu un message. LFSE46R3M2300.
Ayant l'habitude des messages codés, il ne tarda guère à déchiffrer celui-ci : La Fosse, secteur Est, 46ème rue, 3ème maison, 23 :00. Le rendez-vous était pris, à lui de trouver un moyen de s'y rendre.
La voiture de police tourna à l'angle de la rue, laissant de nouveau l'obscurité reprendre sa place. Tony se releva et reprit son chemin le plus discrètement possible. Jusque là, il avait eu une chance incroyable, ayant pu traverser la ville sans se faire prendre. Une rue encore, et il entrerait dans la Fosse. Il y serait à l'abri... du moins à l'abri de la police.
Elle ne mettait jamais les pieds dans la Fosse, car une autre loi s'y était imposée : celle des gangs. Il y en avait quatre plus importants que les autres, chacun régentant un secteur précis. L'Est était aux mains des Jumeaux, un duo de malfrats qui faisait fortune dans l'armement militaire privatisé. Tony les connaissait de réputation et savait qu'IzunaCorp Industries avait déjà conclut quelques affaires avec eux. Mais faire des affaires ne signifiait pas pour autant être alliés, et les relations entre les Jumeaux et IzunaCorp restaient très bancales. Le fugitif n'aurait pas trop à se soucier d'être dénoncé.
Tony traversa la dernière rue qui le séparait de son salut provisoire. Il s'autorisa un vague soupir, mais savait qu'il n'était pas encore tiré d'affaire. En effet, il était une chose dont chaque occupant de la Fosse devait se méfier : les Charognards. Gang à part, sans secteur attribué, ses membres avaient une terrible réputation. Nul ne savait précisément où se situait leur base, car tous ceux qui l'avaient cherché avaient disparus sans laisser de trace. Certaines rumeurs disaient qu'ils faisait du trafic d'organes, voire carrément d'humains, d'autres, plus inquiétantes encore, les accusaient d'anthropophagie.
Vraies ou pas, il ne faisait pas bon de trop traîner dans les rues en pleine nuit.
Marchant d'un pas rapide vers son lieu de rendez-vous, Tony se sentait épié comme jamais. Nul ne pouvait pénétrer dans cette partie de la ville sans être remarqué par les multiples guetteurs des gangs. Et nul ne venait jamais ici sans raison. Tony savait que sa présence était déjà connue en ce moment même. Cela ne le réjouissait pas vraiment, mais il devait composer avec. Une ou deux fois, il eut la désagréable sensation d'être suivi. La sensation de l'arme planquée dans sa veste se chargeait alors de l'apaiser. Il était entraîné, et savait faire face à ce genre de situation.
Il arriva finalement devant la troisième maison de la quarante-sixième rue. Son apparence banale contrastait étrangement avec la gravité de la situation. Néanmoins, il s'avança et toqua. Onze heure moins dix... au moins n'était-il pas en retard.
La porte s'ouvrit sur une jeune femme au visage constellé de tâches de rousseur.
– Entrez, vite ! fit-elle en le tirant par le bras.
Elle le mena dans un modeste salon et tendit la main.
– Donnez-moi votre arme, vous n'avez rien à craindre ici. Je m'appelle Lauretta.
– Moi c'est Tony, fit-il en tendant son arme avec une réticence marquée.
– Je sais qui vous êtes. Ce que je ne sais pas, c'est pourquoi.
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi trahir votre patron ? Pourquoi risquer de vous faire tuer ?
– Est-ce vraiment important de savoir pourquoi ?
– Pour nous oui.
– « Nous », c'est qui ?
– Ici, c'est moi qui pose les questions. Alors ?
Lauretta se campa face à lui, et croisa les bras sur sa poitrine sans montrer autre chose que de la curiosité. Tony soupira, il n'avait pas le choix.
– C'est... à cause de ma femme. Elle... elle est tombée malade au début de l'épidémie. Elle est morte deux semaines après...
– Mes condoléances.
– Merci. A ce moment-là, j'ignorais que tout ceci n'était pas le fruit du hasard. Nathalie possédait un groupe sanguin très rare. C'est pour ça qu'ils l'ont choisie. Cette bande de pourritures ! Ils l'ont tuée !
Lauretta s'avança vers Tony et lui tendit son arme avec un sourire triste.
– Bienvenue dans la Résistance, Tony !
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Bribes de Dystopie
General FictionFugitifs, meurtriers, résistants, victimes, survivants... les apparences sont parfois trompeuses dans un monde où règne la loi des plus forts et des plus fortunés. Bribes de Dystopie n'est pas un roman au sens premier, car il n'y a pas qu'une histoi...