J'avais mis des mois à retrouver la trace de cet enfoiré.
Après la disparition de Lucia, j'avais fait pas mal de recherches pour la sauver. Je ne savais pas pourquoi IC.I était après elle, et je ne connaissais pas non plus l'identité du gros bonnet qui chapeautait toute l'opération et qui nous avait traqués sans relâche pendant cinq ans. Ce que je savais en revanche, c'était le nom de l'ordure responsable de l'enlèvement de ma gamine. Carlo Forzatti. Un banal homme de main, une petite frappe. Le dénicher avait été facile, lui mettre le grappin dessus un peu moins. Heureusement pour moi, le gars avait un vice : il écumait les salles de jeux clandestines comme d'autres iraient courir les tapineuses. Des mois durant, je l'ai suivi, notant ses habitudes, repérant ses planques et ses contacts. Lorsque je fus certain d'être prêt à passer à l'action, je n'ai pas hésité.
C'était le soir et Carlo se rendait à sa salle de jeu du moment, un tripot situé dans une zone industrielle désaffectée. Mon plan était de le laisser se faire plumer et s'imbiber suffisamment d'alcool pour qu'il me soit plus facile de le maîtriser. Tout s'est déroulé comme une partition bien rodée, et avant deux heures du matin, le gars était jeté dans mon coffre, moitié assommé, moitié en train de cuver sa vinasse.
Je l'ai amené dans un entrepôt abandonné où je savais que nul ne viendrait nous déranger... la nuit allait être longue et déplaisante, mais il me fallait des indices si je voulais pouvoir retrouver Lucia. Après l'avoir solidement attaché à une chaise, j'ai balancé un seau d'eau glacée dans la tronche de Carlo. Il s'est réveillé en sursaut, dérouté.
— T'es qui toi ! me lança-t-il avec un ton qui aurait pu paraître menaçant si nos rôles avaient été inversés.
— Merde Carlo, ça me fait de la peine que tu ne me reconnaisses pas. On s'est déjà croisé pourtant, le soir où t'as enlevé ma gamine pour IC.I. Tu te souviens ?
Je l'ai vu fouillé dans sa mémoire, puis un éclair de lucidité lui est rapidement passé dans sa caboche. Il m'a de nouveau regardé, avec plus d'attention cette fois.
— Ah ouais, t'es ce type qui se cachait avec une fille. Je t'avais assommé, je pensais t'avoir laissé KO pour des années.
— Comme tu vois, ce n'est pas le cas, mais tu aurais peut-être dû t'en assurer la dernière fois, ça t'aurait évité de me revoir.
— Mec, tu comptes me tuer ? Vas-y, c'est pas ça qui te la rendra ta fille. De toute façon, je sais rien moi, je sais même pas où elle est ta môme. A l'heure qu'il est, elle doit être à l'autre bout du continent.
— Tu ne sais peut-être pas où elle est, mais il y a une chose que tu vas pouvoir me dire, et si t'es sympa avec moi, je le serai avec toi.
— Tu me laisserais partir ? Sérieux ? fit l'autre avec incrédulité.
— Ouais, je te détacherai et tu seras libre de partir. Et, crois-moi, j'ai qu'une parole. En revanche, l'autre option qui t'attend si tu n'as pas envie d'être sympa, et crois-moi là aussi, elle te sera très longue et affreusement douloureuse. Je te laisse le choix !
D'un geste, je lui ai montré un petit arsenal d'ustensiles, lui laissant bien le temps d'imaginer ce que chacun d'eux était capable de lui faire.
— Si tu veux, je te fais la démonstration de cette pique, ça pourrait te motiver à choisir plus rapidement. T'en dis quoi ?
Carlo n'était qu'une petite frappe, et les petites frappes n'ont pas vraiment de loyauté. Entre mourir et balancer des infos, le choix pour lui était vite vu.
— Ok, tu veux savoir quoi ? Je te l'ai dit, je ne sais rien de là où se trouve la fille.
— Mais tu sais qui t'a engagé. Je veux savoir son nom et comment il t'a recruté. Et ne t'avise pas d'essayer de me mentir, car je vais prendre le temps de tout vérifier avant de te laisser partir. Je l'ai vu hésiter un instant, car c'est précisément ce qu'il avait dû vouloir faire. Je me suis approché des outils.
— Ok ok, déconne pas, attends ! Je vais tout te dire, d'accord ! a-t-il fait précipitamment.
— Parle, je t'écoute.
Et il a parlé. Un vrai moulin à parole le Carlo. Il m'a dit comment il avait été contacté, où, et surtout par qui. J'ai glané autant d'infos qu'il pouvait m'en donner. C'était pas grand chose, mais c'était mieux que rien. Lorsqu'il eut fini, je l'ai laissé cogiter encore un moment, le temps pour moi de vérifier ce qu'il m'avait dit. Au bout d'une heure, je m'étais rendu à l'évidence : le bougre n'avait pas menti.
Je suis revenu vers lui avec une seringue. L'autre a commencé à s'agiter.
— Hey ho ! T'avais dis que tu me laisserais partir !
— Rassure-toi, j'ai pas changé d'avis. C'est juste un tranquillisant pour m'assurer que tu ne tenteras rien une fois détaché.
Il s'est débattu ; je lui ai fait la piqûre, puis je l'ai libéré. Carlo m'a regardé, luttant contre l'effet du tranquillisant.
— Merci mec, j'te jure que je n'te balancerai pas !
— Casse-toi ! fis-je.
Carlo s'est éloigné, aussi vite que ses jambes cotonneuses le lui permettaient.
— Hey, Carlo ! lançai-je alors qu'il était à mi-chemin de la sortie. Tu sais pourquoi je t'ai amené ici ?
Il s'est arrêté, et s'est retourné vers moi.
— Non, pourquoi ?
— Parce qu'ici il n'y a personne à des kilomètres alentour.
J'ai pris mon flingue, et j'ai visé. L'autre a paniqué.
— Non, arrête, t'avais promis !
— J'ai promis de te libérer, j'ai pas dis que je n'allais pas te tuer.
— Non, non ! Pitié ! J'te balancerai pas, c'est vrai !
Je l'ai regardé. Le pauvre en pissait de trouille. J'ai secoué la tête.
— T'es pas fiable, et t'as enlevé ma Lucia pour la livrer à des vautours. Tu ne mérites rien de mieux.
— Connard, va crever en enfer !
J'ai tiré, Carlo est tombé au sol.
— En enfer, je serai en bonne compagnie au moins.
J'ai rengainé et me suis attelé à faire le ménage. Quand ce fut fait, je suis reparti, sans un regard en arrière, l'esprit entièrement tourné vers mon prochain objectif. Carlo m'avait donné un nom. Un type qui bossait pour une boîte de sécurité industrielle, un sous-traitant d'IC.I. Ce n'était encore qu'un intermédiaire et il ne serait pas facile de l'atteindre, mais j'étais patient. Qu'importe le temps que cela prendrait, je remonterai la piste jusqu'au plus hautes sphères s'il le fallait.
Je retrouverai ma gamine et je leur ferai payer à tous d'avoir osé me l'enlever.
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Bribes de Dystopie
General FictionFugitifs, meurtriers, résistants, victimes, survivants... les apparences sont parfois trompeuses dans un monde où règne la loi des plus forts et des plus fortunés. Bribes de Dystopie n'est pas un roman au sens premier, car il n'y a pas qu'une histoi...