Il n'avait pas eu d'enfance malheureuse, elle avait été très commune en réalité. On ne lui avait pas non plus diagnostiqué de troubles psychologiques lorsqu'il était jeune : il était parfaitement sain d'esprit. Personne ne l'avait formé à son métier, il avait tout appris « sur le tas ».
Sa première mission ? Il en gardait toujours un souvenir mitigé. A la fois empreint de nostalgie pour l'exaltation que cela lui avait procuré, mais également très décevant pour ce qui était de la technique utilisée. Avec toute l'expertise qu'il avait acquise au fil des ans, s'il avait dû rejouer cette scène aujourd'hui, il l'aurait à coup sûr rendue exempte de la moindre maladresse et lui aurait donné plus de style.
A l'époque, il sortait tout juste de l'adolescence. Jeune et impétueux, il avait commencé un travail d'assistant au sein d'une petite entreprise en pleine expansion. Son patron, monsieur D, était un filou notoire qui se servait de son entreprise comme d'un écran de fumée, protégeant ainsi ses autres activités plus ou moins légales. Toutefois le jeune homme n'avait pas été élevé dans un monde manichéen. Un peu d'illégalité dans son parcours ne lui posait pas de problème de conscience : tous les moyens étaient bons pour se faire un nom. Et c'est précisément cela qui le motivait.
Tous les mardis soirs, il accompagnait son employeur dans un night-club à la réputation sulfureuse. Si la plupart des gens qui le fréquentaient y allaient pour faire la fête, l'arrière-salle était véritablement le lieu des possibles. Les tables de jeux y avaient la part belle, le très bon alcool coulait à flot, et des sommes d'argent astronomiques changeaient de mains dans un rythme effréné.
Une telle activité aurait pu aider le jeune homme à se faire connaître facilement, mais la vérité était que nul ne se souciait d'un assistant anonyme. Son apparence banale et sobre ne l'aidait d'ailleurs pas à se démarquer parmi tous les costards et belles robes qu'il côtoyait.
Alors, en attendant de trouver le moyen de gagner en popularité, il écoutait, apprenait, évaluait les gens... et observait son patron mener ses affaires autour des parties de poker.
Et puis, il y eut ce jour où l'un des joueurs perdit une somme importante au profit de monsieur D. L'homme, alcoolique confirmé, refusa de payer et accusa son adversaire d'avoir triché. L'incident prit fin lorsqu'il prit la tangente avec aussi peu d'élégance qu'un ivrogne sortant d'un troquet.
Le lendemain, monsieur D convoquait son assistant, le chargeant d'une mission très importante : rappeler, au perdant de la veille, son bon souvenir. Les instructions étaient claires, et monsieur D avait bien précisé au jeune homme ce qu'il lui en coûterait de ne pas les respecter.
Le soir même, le jeune homme était au night-club, attendant que le débiteur montre le bout de son nez. Il patienta des heures après l'arrivée de ce dernier, attendant que l'homme soit suffisamment imbibé jusqu'à avoir du mal à repartir de l'établissement en marchant droit. Puis, sans se faire voir, il le suivi jusqu'à son immeuble : une modeste petite résidence de classe moyenne, dont la porte était restée grande ouverte.
Au stress de la tâche qui lui incombait ce soir, se mêlait la volonté de mener sa mission à bien. Enfin, il pourrait être reconnu professionnellement, son patron lui ayant promis une meilleure situation en cas de réussite. C'est pourquoi, nerveusement, il guettait les allées et venues du gars grâce aux ombres chinoises qui se dessinaient à travers les rideaux des fenêtres.
Lorsqu'il fut convaincu qu'il n'y avait pas d'autres occupants dans l'appartement, il pénétra dans la résidence pour aller toquer, le plus fermement possible, à la porte de l'appartement. Il dut cependant s'y reprendre à deux fois avant d'entendre enfin les pas maladroits qui précédèrent l'ouverture de la porte.
- C... c... c'est pour.... pourquoi ? balbutia le maître des lieux dans un souffle aviné, le regard abruti par la boisson et pas le moins du monde soupçonneux.
- Monsieur D vous envoie ses salutations, répondit le jeune homme en sortant de sa poche un 9 mm orné d'un bon silencieux.
Le coup parti avec plus de facilité qu'il ne l'aurait cru. L'homme le regarda un moment sans comprendre, puis s'écroula au sol. Une tâche écarlate commençait à se répandre sur sa poitrine et sur la moquette crème qui recouvrait l'entrée.
Le jeune homme resta un moment immobile, faisant face à sa victime. Puis, il se dirigea lentement vers la desserte de l'entrée pour y récupérer l'attaché-case dans lequel, il le savait, se trouvait l'argent gagné au night-club plus tôt dans la soirée.
Il ne ressentait pas de peine ou de honte pour l'acte qu'il venait de commettre. Il n'avait fait qu'obéir aux directives. Par la suite, il se souviendrait avoir ressenti un instant d'ivresse en pressant la détente : un sentiment d'accomplissement et la satisfaction d'avoir fait du bon boulot. C'est peut-être à ce moment-là que l'évidence s'imposa à lui : ce n'était qu'un job comme un autre, mais dans lequel il saurait exceller et être reconnu.
Ce fut son premier contrat et le début d'une longue carrière. Le Chat venait de naître.
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Bribes de Dystopie
General FictionFugitifs, meurtriers, résistants, victimes, survivants... les apparences sont parfois trompeuses dans un monde où règne la loi des plus forts et des plus fortunés. Bribes de Dystopie n'est pas un roman au sens premier, car il n'y a pas qu'une histoi...