Le Chat était inquiet.
Cela faisait trois jours qu'il se savait suivi. Trois jours qu'il restait en permanence sur le qui-vive, ne dormant jamais deux fois au même endroit. Trois jours qu'il usait d'ingéniosité pour découvrir l'identité de celui qui le traquait. Peine perdue, l'autre était un pro comme on en faisait rarement.
Il n'aimait pas savoir qu'il avait une cible dans le dos, et encore moins savoir que quelqu'un avait réussi à le trouver. Mais, avait-il été trouvé... ou vendu ? Cette possibilité, bien qu'encore moins réjouissante, n'était pas non plus à exclure pourtant ; après tout, sa tête avait été mise à prix. Un prix qui frisait l'indécence d'ailleurs.
Tout ça pour une fille ; un petit oiseau qui s'était retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. La seule erreur que le Chat avait faite au cours de sa carrière ; une erreur qui n'aurait pas eu de conséquences graves si la fille en question n'avait pas été Rita Caretti. Nerio Caretti, son père, dévasté par cette perte soudaine, avait aussitôt fait jouer ses relations pour découvrir quel tueur était à l'origine du décès de sa précieuse fille.
Une seule erreur et le Chat s'était mis à dos le magnat de la pègre sicilienne. Eh merde, c'était bien sa veine ! Et voilà que maintenant, un autre tueur à gages l'avait pris en chasse. Et pas n'importe qui.
Le Chat n'avait jamais versé dans l'excès d'orgueil ou d'humilité. Il aimait la simplicité et restait toujours très factuel. A ce jour, il était l'un des plus doués de sa profession ; il le savait et ses employeurs aussi. Les gros contrats étaient donnés à un très petit nombre de tueurs professionnels, une élite dont le Chat connaissait de renom la plupart de ses membres.Or, il en était un qui, plus que les autres, l'intriguait. La plupart des tueurs à gages, liés par une sorte de code d'honneur, refusaient de tuer un collègue, sauf lui. Dans le milieu on le surnommait le Brochet. Il tuait toujours à l'arme blanche avec une rapidité et une efficacité peu communes ; une arme dont la forme ressemblait au poisson.
Le Chat n'avait pas peur de lui, mais il se méfiait néanmoins.
– Tout va bien ?
– Pardon ?
S'arrachant à ses ruminations, le Chat leva les yeux de son verre. Face à lui, Claire, la barmaid, le regardait avec un regard inquiet. Petite brune aux yeux noisettes, elle dégageait une impression de fragilité qui avait de suite conquis le Chat. Mais en raison de la nature de son travail, il n'avait jamais réussi à l'inviter à dîner. Très tôt, il s'était imposé des règles à suivre pour ne pas trop s'attacher aux gens qu'il rencontrait, pour leur protection autant que pour la sienne. Depuis un mois, il se contentait donc simplement de s'accouder au bar et de lui faire la conversation.
– Vous avez l'air soucieux, tout va bien ?
Le Chat trouva touchant sa manière de s'inquiéter pour lui. Elle était comme une bouffée d'oxygène dans l'atmosphère étouffante de sa vie. Il lui adressa un sourire qui se voulait rassurant.
– Ce n'est rien, quelques soucis au travail, c'est tout, fit-il en restant évasif.
La jeune femme retourna servir d'autres clients tandis qu'il reprenait le cours de ses pensées. Le Brochet... Comment diable allait-il réussir à résoudre cet épineux problème ?A mesure qu'il y réfléchissait, un plan se fit jour dans son esprit. Si le mode opératoire de ce tueur était bien l'arme blanche, il allait devoir s'approcher de lui au plus près. Or, il devait bien se douter que le Chat se savait traqué, et par conséquent il allait devoir l'atteindre au moment où sa proie s'y attendrait le moins. Lors d'un rendez-vous peut-être ?Le Chat avisa Claire, un instant répugné à l'idée de se servir d'elle comme d'un prétexte pour appâter le Brochet. Puis il haussa les épaules, si son plan réussissait, il ferait d'une pierre deux coups !Il attendit qu'elle le remarque pour lui faire signe d'approcher.
– Un autre verre ? lança-t-elle.
– En fait oui, mais pas ici, et pas tout seul. Vous finissez votre soirée à quelle heure ?
La jeune femme lui décocha un grand sourire, à la fois flattée et amusée par sa manière si cavalière de l'inviter.
– Dans trente minutes, plus ou moins. Vous m'invitez ?
Trente et quelques minutes plus tard, tous deux marchaient dans la rue en direction d'un petit restaurant, situé non loin. Bien que tous ses sens fussent en alerte, le Chat savourait pleinement cette petite entorse à ses règles de conduite. Claire était non seulement très agréable à admirer, mais elle avait également de la conversation et de l'humour. Bon dieu, s'il s'en tirait vivant, il ferait un effort pour mieux la connaître. Ils arrivèrent dans une petite rue commerçante, déserte à cette heure-ci. En passant devant une petite librairie qui s'apprêtait à fermer ses portes, la jeune femme le pria de l'attendre un instant, car elle avait un livre à y récupérer. La laissant disparaître dans la boutique, il fit quelques pas jusqu'à une petite ruelle adjacente. Il se sentait fébrile, comme lorsqu'il s'acquittait de ses contrats. Sauf que cette fois-ci, il chassait un chasseur. Il le sentait tout proche, près à profiter de la moindre faille, de la moindre inattention de sa part. Qu'attendait-il pour l'attaquer ?
– Pardon, j'espère ne pas avoir été trop longue ?
Claire revenait vers lui, un paquet sous le bras. Elle lui adressa un sourire ravissant, mais s'arrêta à deux pas de lui, les sourcils froncés, regardant par-dessus son épaule. Mu par quelque instinct de survie, le Chat fit volte-face immédiatement.
Puis tout s'enchaîna très vite ; le Chat sentit le danger arriver dès la seconde où ses yeux se posèrent sur ce qui se trouvait derrière lui. Il fit un écart sur le côté en se baissant pour éviter la lame effilée qui s'apprêtait à lui ôter la vie, dégaina l'arme qu'il cachait toujours sur lui, et tira.
Son adversaire n'eut aucune chance et tomba au sol dans un râle d'agonie qui ne dura qu'une seconde. Une flaque de sang grandissait à vue d'œil sous le corps frêle de Claire. Dans sa main, une lame en forme de brochet se tintait de rouge.
– Eh merde ! lâcha le Chat.
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Bribes de Dystopie
Fiction généraleFugitifs, meurtriers, résistants, victimes, survivants... les apparences sont parfois trompeuses dans un monde où règne la loi des plus forts et des plus fortunés. Bribes de Dystopie n'est pas un roman au sens premier, car il n'y a pas qu'une histoi...