Chapitre 1

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Lou tenait ses cartes devant son visage, cachant son nez et sa bouche, et ne me laissait voir que ses yeux espiègles, se moquant carrément de moi sans même faire semblant de le dissimuler. Ses grands yeux miel me narguaient de ce regard qu'il savait si bien prendre quand il se sentait chanceux, dans ce genre de situation. Moi, je n'avais pas vraiment la tête à ça, mais faute de mieux, c'était la seule chose à faire pour que je ne pensasse pas à cette réponse que j'attendais avec impatience, et stress surtout.

— C'est à ton tour, me dit-il doucement, toujours caché derrière son jeu.

— Je sais ! répondis-je avec insistance.

— Alors, joues !

— Rah ! grognai-je et prenant une carte au hasard dans sa main.

Lou ne put retenir un rire de victoire, très heureux de ma malchance, levant ses deux poings au ciel comme pour louer la divinité de la bonne fortune ; et moi, je jetai alors mon jeu en l'air, soufflant toute l'exaspération que pouvait contenir mon corps. En m'affalant sur le dos, au sol, les mains croisées sur mon ventre, j'étais restée passive sous cette pluie de cartes, à peine triste d'avoir perdu.

— Tu vois, lui dis-je. Je ne suis pas chanceuse. Je ne vais pas l'avoir, ce poste. Je ne vais pas avoir le poste et je ne vais pas pouvoir valider mon année !

— Mais non ! affirma-t-il en ramassant mes cartes aux quatre coins de la pièce. Arrête de dire des bêtises, un peu !

— Bah alors, pourquoi ils ne m'ont toujours pas contacté ? Ça veut bien dire ce que ça veut dire !

— Oui, et ça veut dire qu'ils ne t'ont pas encore appelé.

— Pourquoi il faut toujours que tu sois si rationnel ? lui demandai-je en me relevant. C'en est presque un peu agaçant, tu sais !

— C'est parce que tu ne l'es pas assez ! rétorqua-t-il avec un clin d'œil.

Lou était un chic gars, il avait tout du gendre parfait : drôle, patient, à l'écoute, toujours le mot pour rire, souriant, et comme sa mère n'arrête pas de dire, avec fierté : « il est bon à marier, mon fils » et ce à quoi je rajoutais, à chaque fois : « s'il ne mangeait pas à tous les râteliers. » C'était mon moyen de le taquiner un peu, une piqûre de rappel, parce que la personne parfaite n'existe pas, et surtout parce qu'on était comme ça lui et moi, à toujours s'envoyer des petites piques, comme notre marque d'affection mutuelle.

Et il continua dans sa pragmatisme implacable :

— Tu vois, même si tu n'es pas prise dans cette boite d'édition, il y en a plein d'autres !

— Oui, mais il n'y a qu'une « Édition Marmelade » je te signale.

— Tu crois, continuai-je, que je peux les appeler ?

— Pour faire quoi ?

— Bah... pour savoir si-

— Calme-toi, Solène ! Et pose ce téléphone !

— Mais je vais juste voir si-

Et mon téléphone se mit à sonner, me coupant la parole et les battements de mon cœur ; je venais de recevoir un message. J'osais pas regarder l'écran, trop effrayée sans doute par ce qui était affiché. Alors, les mains tremblantes, les yeux écarquillés, je tendis l'appareil à Lou qui, à deux pas de moi, était dans le même état de choc.

— Tu crois que ? lui demandai-je.

— Je sais pas... Tu veux que je regarde ?

— Oui, s'il te plaît, je n'ose pas, j'ai trop peur !

Il me prit le téléphone des mains, très doucement, regarda l'écran, puis après avoir lu ce qu'il y avait dessus, dans un mouvement tout aussi lent, il me regarda de nouveau. Les yeux dans le vide, le visage fermé, il avait la bouche entrouverte. Lou déglutit, prit une grande inspiration, et me dit d'une voix morne :

Tant de toi qui m'échappent. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant