Chapitre 8

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J'étais donc, malgré le refus de Raphaëlle, installée dans le même bureau qu'elle. La première semaine était quelque peu tendue, mais, les jours passant, elle semblait s'être accommodée à ma présence. Du reste, les journées se déroulèrent convenablement, tant que je ne la dérangeasse pas et que nos interactions se limitassent aux stricts minimums. Mais dans le cas contraire, si jamais je me montrais un peu trop présente, elle me le faisait comprendre ; d'une manière toujours passive, sans rentrer dans la confrontation directe. C'était, dans la plupart des cas, le son de sa musique à fond, ou la fumée de sa cigarette électronique qu'elle soufflait dans ma direction.

Et la seule chose qui me poussait à continuer était, finalement, les autres. Sans eux, sans cette ambiance, je serais déjà partie. Comment voulait Marc, que je fasse, si elle ne me laissait même pas l'occasion de lui parler ? sans me prendre toute sa foudre passive-agressive. Nos longues journées de travail se déroulaient donc sans le moindre échange, ni même de petites parlottes ; il n'y avait que le silence, elle, moi, et sa cigarette électronique.

Un écran d'ordinateur nous séparait, elle et moi ; et alors que j'avais l'esprit absorbé dans le manuscrit que je lisais – une histoire qui raconte la vie mouvementée d'une femme qui cherche, perdus au fond de la compagne, les sombres secrets de sa famille – une vague de panache blanc qui sentait fort la pomme vint se déverser sur mon bureau, passant par-dessus ledit écran ; c'était Raphaëlle.

Puis, après un silence, le long crépitement caractéristique de son appareil, et :

— Merde ! murmura-t-elle soudainement.

Je levai la tête, tendis l'oreille sans me montrer trop expressive, intriguée par ce qui se passait, faisant mine de continuer ma lecture. Des feuilles tombèrent du bureau chaotique de Raphaëlle, elle grommela, remua tout ce qui se trouvait sur sa table, sans ménagement, brassant le désordre ambiant – qui était tel d'ailleurs que tout ce remue-ménage n'avait rien dérangé, en apparence. Ça dura une bonne grosse minute, assez longtemps pour que l'idée de lui venir en aide me vint à l'esprit ; visiblement, elle cherchait quelque chose, mais en vain.

— Fait chier, continua-t-elle.

— Ça va ? osai-je lui dire.

— Ouais, ouais, marmonna-t-elle après un petit silence.

Puis, se levant, passant sa tête au-dessus de l'écran :

— Tu n'aurais pas vu ma recharge, par hasard ? me demanda-t-elle en me montrant sa cigarette.

Mon dieu. C'était la toute première fois qu'on avait un aussi long échange sans que je me sente attaquée – pour des raisons obscures, d'ailleurs. Et je lui répondis non de la tête ; par crainte qu'un mot sortant de la bouche lui rappelât qu'elle me déteste – pour des raisons obscures, aussi.

Elle finit par se lever, prendre son sac et, dans un murmure mêlé de colère et de frustration, elle dit une phrase qui sonnait comme « où est-ce que je l'ai foutu encore ? ou alors j'en ai plus ?! » et elle me laissa là, sans la moindre explication. Ce n'était pas la première fois qu'elle partait sans donner de raisons valables ; la communication n'était pas son fort ; une de ses habitudes était d'arriver en retard, le matin, puis de partir une heure après son arrivée, pour faire personne-ne-sait-quoi.

Pierre et François spéculaient sur l'existence d'un autre job, ils pensaient, qu'en réalité, elle était fauchée, dépensait sans compter et qu'elle devait – pour subvenir à ses besoins – avoir deux emplois. Mais leurs paroles n'étaient jamais sérieuses, et j'avais l'impression qu'ils le disaient surtout pour amuser la galerie ; le premier affirmant qu'elle travaillait en tant que danseuse dans un bar peu regardant sur sa clientèle, et l'autre jurant qu'il l'avait déjà aperçue dans plusieurs téléfilms destinés à un public averti, en tant que figurante.

Tant de toi qui m'échappent. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant