Chapitre V

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Goutin, toujours caché derrière le rideaux,  constate que la police a pris d’assaut l'entrée. Il remarque l’un d’entre eux carrément à découvert, muni d’un gilet pare-balles, fine silhouette, barbe grise bien structurée regardant dans sa direction tandis qu'un autre flics plus trapu et plus jeune s’approche et lui tend un téléphone.  Il pianote, puis le porte à l'oreille. Une sonnerie dans la salle de séjour  ramène le gangster à ses otages. Le pasteur Hugues regarde désespérément son épouse. Le son est plus accentué de son côté. Le chef de gang se précipite vers elle, tend la main pendant que l’autre pointe le bout du pistolet pour la deuxième fois sur sa tête.  Rebecca avait caché l’appareil entre sa fille qu’elle tenait serré contre elle pour le tenir en équilibre. Elle a eu peu de temps pour trouver cette cachette, car au moment où elle se préparait à lancer le numéro de la police, les malfrats ont fait irruption dans la chambre. Elle se plie aux ordres de son agresseur et ferme les yeux, déçue lorsqu'elle se souvient  qu’il ne faut pas flancher quelles que soient  les situations ; le Seigneur est avec eux et les aidera à s’en sortir. Elle ouvre les yeux  et ne peut s'empêcher d'être triste quand elle voit l’ouverture que la crosse du pistolet  a laissé sur le front  de son mari dont le visage est recouvert de sang.

- S’il vous plaît, interpelle-t-elle en levant la main comme une élève voulant s'adresser à son professeur.

Goutin manipulant son téléphone, ne prête pas attention à elle. L'appelle était privée et  c'est coupée au moment où il voulait le décrocher.

- Qu’est ce que vous voulez ? Demande  d’un ton sec Bigui le chauffeur à qui cette prise d’otage dérange
énormément. Le contrat était qu'il attende dans le véhicule  et démarre dès que tout le monde y était installé.  Le deal de chauffeur lui allait parfaitement, du moment qu' il n'avait pas besoin d'être témoin de meurtres de sang froid il était partant. Mais là, en cet instant, il est carrément désorienté , à la trouille et de surcroît  doit absolument faire de son mieux pour le cacher ou il est sûr de se prendre une balle dans la tête sans état d'âme de la part de Goutin.

- Pouvez-vous me permettre de panser  la blessure de  mon époux ? Il saigne beaucoup.
     
- Jésus a saigné et il ne s’est pas plaint, alors que votre époux en fasse de même, répond Goutin avant que Bigui, qui avait l’intention malgré lui de refuser, ne prenne la parole.

- Tout va bien chérie,  arrête de t'inquiéter, rassure l’homme de Dieu en prenant le pan de sa chemise pour faire pression sur l’ouverture. Un cri de douleur lui échappe.

Epiphane, son frère, essaie de son mieux de garder Jeremy retourné face à lui, mais l’enfant réussit à s'échapper et  courir se jeter dans les bras de son père. Visiblement, il ne se rend pas compte du danger autour d’eux. Salomé, la femme de ménage, aurait aimé avoir son âge et ne pas être en ce moment en train de prier pour sa vie. Depuis près de six mois, des braqueurs, laissant derrière eux un bain de sang, font la une de tous les  journaux. Elle sait, tout comme ses patrons, qu’ils ont affaire à eux en ce moment. Cette situation, nourrie d’angoisse, faisait pression sur sa vessie. Rebecca, assise à côté d’elle, pose la main sur la sienne. La jeune fille respire profondément avec ce soutien important.

- Tout ira bien, Salomé reste en prière, lui murmure sa mère spirituelle. 

D’un signe de tête, elle fait comprendre que le message est passé et commence sa prière intérieurement.
         
Riggi gémit  toujours de douleur et perd du sang malgré le garrot.  Terry et Bigui essaient de l’aider à trouver une position confortable dans le canapé inondé de sang quand ils sont interrompus par un coup de feu. Bigui se met à trembler sous le choc, Terry a le visage éclaboussé d’un liquide visqueux et les oreilles qui bourdonnent. Riggi les regarde les yeux ouverts et le front perforé par la balle que Goutin vient de tirer. Le silence est maître des lieux, la famille Lohoues terrifiée. Le pasteur Hugues commence à s'inquiéter plus que jamais pour sa famille. Salomé cède à la panique, frémissante en pleurs, Epiphane regarde son frère, son modèle et tant que celui-ci, malgré la peur qui le submerge, a une mine impassible il reste confiant. Rebecca attire Salomé, la serre contre elle et lui demande de se calmer à l'oreille pendant qu’elle fournit un effort surhumain pour en faire autant.
La sonnerie du téléphone retentit une nouvelle fois. Goutin ne quittant pas du regard Terry et Bigui qu’il savait mécontent pour son geste macabre, décroche en leur tournant le dos.

- Allo ?
- Je suis le Commissaire Djaki, à qui je m’adresse, s’il vous plaît ?
- Goutin !
- C’est un pseudonyme, n’est-ce pas ?
- Et comment ! Vous auriez voulu que je vous détaille ce qui est écrit sur  mon extrait d’acte de naissance ? 

Face à des portraits de famille disposés sur le grand tiroir à côté de la porte d’entrée, Goutin fixe longuement la photo du pasteur Hugues.

- Ce que je veux, c’est savoir si la famille Lohoues va bien. Nous avons entendu un coup de feu, dit calmement le commissaire Djaki.

Goutin se frotte les yeux, la fatigue se fait sentir. Ils n’ont pas dormi de toute la nuit.

- Oui, effectivement, il y a eu un coup de feu. Un des nôtres perdait beaucoup de sang et me cassait les tympans avec ses gémissements à la con, alors j’ai décidé, pour mon bien être auditif, de mettre fin à cette torture.

Salomé interrompt ses pleurs ayant compris la cause du sort de l’autre. Goutin retire  son paquet de cigarette de sa poche.

- Êtes-vous en train d’insinuer que vous avez abattu l’un de vos complices ?  demande le commissaire Djaki un peut perdu
- Complice est un mot bien trop grand pour qualifier ce moins que rien. Mais oui, le coup de feu lui a été dédié.
- Tant mieux pour lui. Le commissaire Djaki fait une pause, puis reprend la parole. Monsieur Goutin, nous aimerions que vous libériez quelques otages. Ce sont des inn…
- Personne ne sera libérée, Djaki,  interrompt Goutin qui colle le téléphone à l'oreille avec son épaule le temps de retirer une cigarette et l’allumer aisément .
- Même pas les enfants? J’ai appris qu’il y a un nourrisson de dix mois et un enfant de six ans, avance le commissaire Djaki qui n'apprécie pas le fait que son interlocuteur l’appelle par son nom.
- Ce sont eux nos  tickets pour sortir vivant d’ici, Djaki ! Répond un Goutin plus calme après une grande bouffée de nicotine.
- Ou vous pouvez tout simplement vous rendre, rétorque le commissaire qui commençait à perdre son sang froid.
- Pas question, cher ami.
- Je ne suis pas votre ami !

La voix du commissaire est catégorique et le ton plus haut. Goutin sourit, satisfait de produire cet effet sur son  interlocuteur, puis reprend la parole :

- Désolé pour vos officiers. Si cela peut vous réconforter, sachez que leur meurtrier les a rejoint ajoute-t-il.
- Mon seul réconfort, Monsieur Goutin,  est de voir la famille Lohoues saine et sauve.
- Alors, si vous voulez que votre souhait se réalise, faites-moi venir un minibus, ici.
- Un mini quoi ?
- Un minibus, j’ai dit !
- Et pourquoi ?
- Parce que si je ne le vois pas comme je l’ai demandé, d’ici une heure, vous entendrez un autre coup de feu  et ce sera un membre de la famille Lohoues qui sera la victime !
- N'essayez même pas ! Menace le commissaire Djaki d’un ton dur.
- Le compte à rebours à commencé, Djaki, conclut Goutin avant de raccrocher et rencontrer le regard perçant du pasteur Hugues Lohoues.

LEARDEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant