Chapitre 29 - Odalia

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17 septembre, 9:32 am

Elle courait depuis des heures – et remerciait en silence le programme d'entraînement dispensé à tous les gardes. Elle ne savait pas exactement où elle était censée se rendre, mais rester dans le même bâtiment que son potentiel bourreau ne lui semblait pas la meilleure des idées.

Sa montre – qui servait aussi bien à annoncer l'heure qu'à stocker des données nécessaires au bon déroulement de sa tâche ou à communiquer entre collègues – se mit à vibrer, annonçant un message d'Audric. Elle tapota sur la notification et une voix désincarnée s'éleva de l'écran :

Tu as disparu. Où es-tu ? demanda l'appareil sans le timbre inquiet qu'avait sans doute employé son ami. Voulez-vous répondre au message ? ajouta la voix froidement

— Oui. Envoie : Kent a demandé à quelqu'un de me tuer. Peut-être toi aussi. Rejoins-moi là où tu sais, énonça-t-elle en prenant garde à ne pas préciser le lieu, au cas où la communication serait surveillée

La voix de la montre lui demanda de confirmer son message, puis un léger chuintement lui signifia qu'il avait été envoyé.

''Là où tu sais''

Impossible pour Kent – ou quiconque d'autre que le destinataire du message – de comprendre du lieu dont elle parlait. Pourtant, un mauvais pressentiment l'accompagna jusqu'à l'endroit en question, soit un cabanon perdu par la forêt et oublié de tous, qui avait longtemps auparavant hébergé un garde forestier. Celui-ci avait probablement été emmené à Hansaï, et n'en était jamais revenu.

Odalia, légèrement essoufflée par sa course, s'adossa au mur de la bâtisse en espérant qu'elle ne s'effondre pas. Les planches de bois mal isolées étaient pourries par le froid et la pluie, le sol craquait sous ses pas et était criblé de trous créés par les mites. Pour quelque étrange raison, elle aimait ce lieu croulant, son calme. D'ici, elle n'entendait que le son du vent entre les branches des arbres qui commençaient à geler et les pépiements des quelques oiseaux encore dehors. La plupart avaient quitté Okuno pour migrer vers des régions plus chaudes et ensoleillées, mais restaient les Plumes-de-Neige, ces volatiles au plumage blanc argenté et au bec couleur d'ébène, si petits qu'il tenaient dans la paume de la main. Leur ailes, qui se mouvaient à une vitesse fulgurante, leur permettait de se déplacer tout aussi vite et d'échapper aux prédateurs hivernaux, plus féroces à cause du manque de proies.

— Odalia ! appela une voix proche

Reconnaissant Audric – autant grâce à sa voix que par sa dyspnée – la femme sourit et lui ouvrit la porte précautionneusement. Son ami entra, haletant, et se laissa tomber dans un coin de la pièce, ignorant le plancher qui lui hurlait de décamper.

— Alors... fit l'homme après avoir repris son souffle. Dis-moi tout.

— Kent a envoyé une lettre à quelqu'un récemment – la date était inscrite sur le papier – et lui demandait de me tuer ce soir. Ça disait : ''Odalia sait. Tue-la. 27 septembre. '' Mais que croit-il que je sais ? Attends... à moins que ce ne soit simplement ce qu'il a fait aux adolescentes de l'autre soir ? Oui, ça ne peut être que ça... techniquement, nous cherchons des informations, mais nous ne savons encore rien. Alors...il veut me tuer pour que personne ne sache quelle horrible personne il est... quelle maturité !

— Et tu sais à qui il a demandé de te tuer ?

— Non. Je suis partie juste après. Oh, que voulais-tu lui demander ?

Le garde se releva, épousseta son pantalon couvert de sciure de bois et haussa les épaules.

— Rien d'important. Juste quelques précisions sur une mission qu'il m'a confiée.

— Oh ? Quelle mission ?

Encore une fois, Audric prit son temps pour répondre, réajustant l'ourlet de sa manche, lissant ses cheveux déjà plaqués sur son crâne.

— Tu sais que ma mère est malade, n'est-ce-pas ? Et que je tiens beaucoup à elle ? Elle m'est très utile. Elle était haut placée dans la hiérarchie, avant, alors dire que je suis son fils m'ouvre beaucoup de portes.

Odalia, étonnée par la façon dont son ami parlait de sa propre famille, resta silencieuse un moment.

— Bref, elle est malade. Et je dois la soigner, parce que tant qu'elle est en vie elle m'est utile. Il est vain de se déclarer fils d'un cadavre. Mais pour la soigner, il me faut de l'argent. Et Kent m'a proposé une belle somme contre une toute petite mission.

— Qui est ? insista Odalia, qui commençait à s'impatienter

— Toi, Odalia. C'est toi. Enfin... disons plutôt que c'est moi.

— Qu'est-ce que...?

Elle baissa les yeux, fixant sans réagir le poignard fiché entre ses côtes. Audric, les doigts tâchés de sang, tourna l'arme dans sa chair et elle s'écroula, un hurlement obstruant sa gorge.

Elle se recroquevilla sur elle-même, tentant en vain d'endiguer l'hémorragie comme on le lui avait appris, mais Audric saisit ses poignets et elle ne put que se débattre au sol, vidée de sa vie, de son sang et de sa confiance.

— Ne t'en fais pas, Odalia... je réaliserai notre rêve. Je retrouverai les deux gamines et tu pourras leur parler, là où vous vous retrouverez. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je dois aller parler à quelqu'un. Oh, peut-être veux-tu garder ceci, en souvenir ?

Il lui présenta son poignard rougeoyant,  au manche incrusté de pierres noires brillantes.

— Je l'ai prise a un jeune homme hystérique, l'autre jour. Veux-tu savoir ce qu'il voulait ?

L'homme patienta pour une réponse, qui ne vint pas - si Odalia n'était pas encore morte, la douleur l'empêchait de parler.

— Il voulait voir la petite... Maeve. C'est son frère. Étrange coïncidence, n'est-ce pas ? Bon... je vais te le laisser, comme preuve de ma bonne foi.

Il brandit la lame, puis le métal fendit l'air pour venir se ficher dans la gorge d'Odalia, qui échappa un cri étouffé avant de sombrer à jamais.

Killer Queens [VERSION FRANÇAISE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant