Chapitre 05 : Le signe de trois

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-Je vais me marier Sherlock.

Les deux hommes étaient dans le salon du 221B Baker Street. Plusieurs mois s'étaient écoulés depuis le retour du détective. Et malgré tous ses espoirs, John n'était pas revenu vivre avec lui. Oh, oui, il était revenu pour faire quelques enquêtes. Mais il partait tôt, allait retrouver sa si charmante fiancé, dans leur appartement. 

Et Sherlock, lui, quand le soir venait, il attendait, seul. 

Mary s'était aussi parfois jointe à eux. Elle était charmante, gentille, douce, drôle. Tout ce que Sherlock ne serait jamais. Alors il avait éteint ses stupides sentiments, et ses stupides pensées, pour mener des enquêtes. Quand il n'était pas sur le terrain, il faisait des expériences. Après tout, que pouvait-il faire d'autres pour occuper son esprit malade ?

Jusqu'à cet après-midi. John lui avait dit qu'il passerait le voir pour parler, si il était disponible. Sherlock n'avait pas répondu de suite. Oui, il était disponible. Oui, il voulait le voir. Non, il ne voulait pas entendre ce qu'il avait à lui dire. 

Il n'était pas bête. Il savait bien que malgré son interruption, involontaire, de la demande en mariage, John l'avait remise à plus tard. Il était même étonné que cela ait prit autant de temps. Alors quand Sherlock avait entendu John monter les marches de son pas lourd, il s'était installé dans la cuisine, et avait commencé à faire des expériences. 

Quand John s'était installé à côté de lui, la tasse de thé qu'il avait préparé pour lui à la main, il s'était concentré autant que possible sur l'œil qu'il tenait devant lui, et non pas sur le parfum entêtant qui lui arriva aux narines. 

Il ne bougea pas quand John lui demanda d'être son témoin. 

Il visualisait John, dire 'oui' à un maire trop gras pour son propre bien.

Il le voyait heureux, avec Mary.

Heureux avec des enfants.

Et lui, il restait là. Il restait en arrière, seul.

Au fond, il savait bien que cette amitié avec John ne pouvait pas durer toute une vie. Mais peut-être avait-il espéré, un peu, que John serait la personne qui resterait à ses côtés. Après leur première nuit ensemble, il n'avait osé lui en parler. Que pouvait-il dire ? Que pouvait-il réellement lui promettre ? Une vie avec un toxico qui n'arrêtera jamais de pourchasser les criminels ? Une vie à se faire rabaisser de façon quotidienne ? Une vie sans cadeaux ou réelles affections parce qu'il était trop coincé pour réussir à lui en montrer ? Une vie sans enfant parce qu'il était trop égoïste et instable pour réussir à en avoir ?

Non, bien sûr que non. Il ne pouvait pas faire ça à John.

-Tu veux dire que je suis ton...

-Témoin. / -Meilleur ami ?

Les deux hommes avaient parlé en même temps.

-Bien sûr. Evidemment que tu es mon meilleur ami.

Distraitement, Sherlock porta la tasse à ses lèvres, goûtant le liquide amère. 

-Comment c'est ?

-Étonnamment bon, répondit le détective, alors que l'œil flottait à la surface.

Sherlock regarda John partir. Malgré la douleur qui lui enserra la poitrine, il tenta de se convaincre. Peut-être était-ce pour le mieux ? Après tout, que pouvait-il espérer d'autres qu'être son meilleur ami ? C'était déjà une chance énorme qu'il veuille toujours le côtoyer. 

Il ne pouvait pas être égoïste et laisser ses sentiments prendre le dessus. Il ne pouvait pas se permettre de lui retirer le peu de bonheur auquel il avait droit.

Alors il devint le témoin le plus chevronné de toute l'histoire du mariage. Il avait apprit à plier des serviettes en forme de cygne, avait contacté chaque invité pour les rencontrer personnellement et voir la place qu'ils auraient au mariage, avait aidé Mary à faire le plan de table, pour envoyer ceux qui ne l'aimaient pas le plus loin d'elle, il avait même été brutalement honnête concernant le choix des robes des demoiselles d'honneur.

Il avait écrit un discours, sourit sur les photos, apprivoisé un enfant. Plus qu'il ne l'avait jamais fait lors d'une enquête.

Il avait même résolu une tentative de meurtre, afin d'être certain que rien ne venait gâcher cette si belle journée ! Il avait même révélé la grossesse de Mary à des futurs parents choqués mais ravis.

Seulement à ce moment-là, il était parti. Il avait mit son manteau, sa protection, son identité de détective en place, il avait quitté la fête, sans un au revoir, sans rien dire à personne. Il se doutait que personne ne remarquerait son absence. 

La nuit l'enveloppa, et il disparut.

o0o0o0o

-Je vais me marier Sherlock.

John avait repoussé ce moment. Il l'avait redouté plus que tout. La demande avait été faite il y a bien longtemps. Il avait demandé à sa fiancé de ne rien dire, pour le moment. Il devait l'annoncer lui même au détective. Elle avait sourit, et avait dit qu'elle comprenait. 

Il avait mit des semaines avant d'envoyer ce message, lui demandant si il pouvait venir le voir. Et puis, il lui avait dit. Il ne savait pas trop à quoi s'attendre de la part du détective. Mais dix minutes de silence, suivit d'une question, et d'un œil dans une tasse n'était pas vraiment ce qu'il avait imaginé. 

-Tu veux dire que je suis ton...

-Meilleur ami ? / -Témoin

Ils avaient parlé en même temps. 

-Bien sûr. Evidemment que tu es mon meilleur ami.

Evidemment, que tu es mon meilleur ami Sherlock. Parce que je t'aime, et que ça ne changera jamais. Mais je ne pourrais jamais te le dire. Cette foi inébranlable que j'avais en toi n'est plus aussi solide. Parce que quand tu es mort, je suis mort avec toi. Si Mary n'avait pas été là pour moi, aujourd'hui, c'est toi qui serait devant une tombe, avec mon nom inscrit dessus. Parce qu'elle est cette stabilité que tu ne seras jamais. Parce que je l'aime, et qu'elle m'a sauvée.

-C'était comment ?

John ne dit rien. Il regarda Sherlock, mais tue cette pensée au plus profond de son être.

Il continua de l'ignorer quand il vit à quel point Sherlock s'impliquait dans l'organisation du mariage. Parfois, il avait envie de hurler. Il avait envie de lui dire que c'était bien mieux quand il était mort. Qu'il se posait moins de questions. Qu'il savait qu'un jour la douleur serait parti. Parfois, il avait envie de lui demander si il était si heureux que ça de le voir épouser quelqu'un d'autre ? De savoir qu'il ne pourrait jamais être plus que le meilleur ami ? Que rien ne changerait plus entre eux. 

Et puis, Sherlock lui avait annoncé la grossesse. 

Ce bébé. Un petit ange qui allait bientôt avoir le jour, et qui méritait, plus que tout, une famille aimante et unie. 

Alors quand, par la fenêtre, il vit la silhouette de Sherlock s'éloigner, il resta là. A l'intérieur, tenant son rôle de nouveau et futur père. Son cœur se déchira, mais il ne bougea que pour suivre maladroitement la musique. 

Peut-être qu'un jour Sherlock comprendrait son choix ?

Le secret du 221B Baker StreetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant