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Lettre à moi-même.

Est-ce que tu m'en veux ?
De m'être ouverte la peau.
Est-ce que tu m'en veux ?
De t'avoir salie de mes maux.
Est-ce que tu m'en veux ?
Pour avoir juré de réussir.
Est-ce que tu m'en veux ?
Pour l'avoir laissé partir.
Est-ce que tu m'en veux ?
D'aimer trop mais pas assez.
Est-ce que tu m'en veux ?
De penser à chaque pensée.
Est-ce que tu m'en veux ?
D'avoir peur de bouger.
Est-ce que tu m'en veux ?
D'avoir peur d'avancer.
Est-ce que tu m'en veux ?

...

Ne m'en veux pas, je t'en prie.
Je te promets que je ferai mieux demain.
J'espère.
Lisa.

28/09/2023


C'est le message d'une ancienne amie reçu il y a longtemps qui m'a inspiré ce poème. Lorsque j'ai relu notre discussion, et que je suis tombée sur ces quelques mots « Est-ce que tu m'en veux ? », j'ai été sur le choc. Ils étaient d'une puissance dévastatrice. Sans le contexte, cela peut paraître banal. Je vais vous expliquer

Cette amie, je ne sais pas si s'en est vraiment une. Nous nous sommes rencontrées en cinquième, dans un collège de quartier. Elle s'appelle Cécile, elle est chinoise, parle fort et mal français, frappe ses amis et rigole beaucoup.

Cette fille, elle est traumatisée. Lorsqu'elle était en maternelle, selon ses dires, elle a été victime de racisme par son professeur. En maternelle. Il l'humiliait, la discriminait, il l'a même frappée, une baffe, une ou plusieurs fois. En primaire, elle s'est fait harceler. Elle était timide. Elle l'est toujours, mais en pire, maintenant.

Ses parents n'ont rien fait. Ils sont chinois, strictes, il ne parlent pas un mot de français alors qu'ils sont dans le pays depuis des dizaines d'années, sont racistes eux-mêmes envers les blancs et les noirs, et sont obnibulés par la réussite de Cécile, sans l'aider d'aucune manière. Ils l'empêchent de travailler, de voir ses amis, la confinent chez elle, elle ne peut sortir pour autre chose que des courses, ou des papiers administratifs qu'ils ne font pas, ils la frappaient avec un cintre, ils avaient même installé un putain de caméra dans le salon, et les deux seules fois où j'ai pu aller chez elle, en secret, j'ai du me cacher pour ne pas passer devant cette foutue caméra. Ses parents n'étaient pas faits pour être des parents. Enfin, j'en sais rien.

Peut être qu'elle m'a menti, cachée la vérité, j'en sais rien. Je sais qu'elle a menti, parfois, et je ne lui en veux pas. Peu importe ce qui s'est passé, elle est aujourd'hui réellement pas bien dans sa peau. Elle n'a aucune confiance en soi, ne peut pas parler à quiconque, ne peut pas passer pour un foutu oral, ne peut pas se contrôler. Elle est déprimée. Elle a des séquelles terribles.

Aujourd'hui, à cause d'adultes incompétents, cette enfant est en souffrance.

J'ai essayé de l'aider. Tellement. Moi, je me sentais si mal. Elle refusait chacune de mes propositions. Elle est allée voir la psy scolaire, mais c'était rien. Ça ne suffisait pas. Elle ne voulait pas d'aide. De mon aide. J'ai été la seule à vouloir l'aider. Mais rien.

Un jour, j'ai vu ses bras. Elle s'était fait des cicatrices sur ses poignets, avec un ciseau. Jme sentais coupable, mal, triste, en colère aussi. J'étais tellement en colère. Contre elle, contre moi-même. Je me sentais inutile, et encore aujourd'hui j'ai ce sentiment. Je ne lui ai pas vraiment crié dessus. Je lui ai fait promettre ne pas recommencer.

Et c'est pourquoi elle m'a envoyé ce message. J'en ai eu des frissons. Je ne sais pas si vous, lecteur, vous ressentez ça aussi, mais ces quelques mots, pour moi, définissent toute la situation. Ils sont puissants, ils exposent ses états d'âme, ses pensées, sa fragilité, sa douceur, sa peur de l'abandon, de la solitude. Cette phrase, étrangement, me paraît naïve parce que pourquoi je t'en voudrais Cécile, pourquoi.

« Est ce que tu m'en veux ? »

J'ai voulu t'aider au niveau scolaire aussi. J'ai sacrifié tellement de temps pour toi, pour que tu refuses tout. C'est vrai, je me rappelle avoir eu nombre de fois cette rage intérieure lorsque je t'avais fait des devoirs, t'avais expliqué des choses, et que tu ne m'avais pas remercié. Je ne comprends pas pourquoi. Je n'y arrive pas. Je sais que c'est dur de demander de l'aide, mais j'étais là pour toi, rien que pour toi, j'aurais tout fait pour que tu ailles mieux. Et tu ne m'as jamais réellement demandé comment ça allait. Mais comment je peux t'en vouloir. Tu mérites tout le bonheur du monde. Et ne sais que tu vas t'en sortir. Je sais que tu réussiras, Cécile. J'ai juste peur que tu souffres encore.

Nos chemins se sont séparés à la fin de la troisième. On ne s'est plus tellement parlées. Aujourd'hui, nous sommes en première.

Il y a quelques semaines, pourtant, elle m'a envoyé un message pour que je lui prenne un rendez-vous quelque part. J'ai rigolé, j'ai pas compris, je l'ai quand même fait. J'ai pris de ses nouvelles, elle m'a dit que ça allait. Que ses parents voulaient qu'ils déménagent, qu'elle a peur, car elle s'est enfin fait des amis, et que elle ne veut pas devoir s'en faire à nouveau, car elle n'y arrivera pas, c'est trop dur, et oui c'est dur, surtout lorsque qu'on a été harcelé.
Pardon. J'aurais aimé avoir eu un impact sur ton futur, pour que tu ailles mieux. Ça a un côté égoïste, c'est vrai. Mais moi aussi j'ai peur. J'ai peur de mon futur. Du tien.
Cécile.
Je t'aime.
❤️

Poèmes pour des inconnusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant