Chapitre III

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James Kalfman, extraordinaire réalisateur de court métrage, que je suis depuis ses débuts, m'a accordé l'immense honneur de tourner un clip exposant ma vision de l'art, il est donc hors de question que je laisse passer ma chance. L'idée de base était de lui faire découvrir mon univers, présenter mes amis comparses, eux aussi créateurs et mettre un grand coup de projecteur sur ma galerie, mais tant pis. Je dois réagir vite avec ce que j'ai sous la main, c'est bien ça le propre d'un artiste, puiser son inspiration dans ce qui nous entoure.

— Écoutez, si vous êtes toujours d'accord de m'accorder de votre temps, nous n'avons qu'à tourner ce film dans mon stockage provisoire.

— N'en dîtes pas plus, c'est comme si c'était fait, s'enchante-t-il.

Rassuré et intrigué par ma proposition, il appelle son équipe expliquant le changement de plan et m'invite à lui communiquer l'adresse qui par chance ne se trouve qu'à quelques pâtés de maisons.

Légèrement soulagée, je regagne ma voiture que je retrouve décorée d'une amende pour stationnement gênant et souris en me demandant quelles conneries va encore me tomber sur la tête. Une fois derrière mon volant l'idée que la maîtresse de mon futur ex-mari s'amuse à me pourrir la vie m'effleure l'esprit, je prends note de lui rendre une petite visite prochainement histoire de lui passer l'envie de jouer avec mes nerfs. Car c'est bien la seule que je soupçonne assez peste pour manigancer ce genre de merde. Elle s'imagine sans doute qu'il est temps d'enfoncer le clou en m'assénant le coup de grâce comme si j'allais la offrir l'opportunité de saccager mon projet de la même façon qu'elle a détruit mon mariage.

Essayant de me reconcentrer, je m'engage sur la route, priant intérieurement pour avoir un endroit convenable à présenter. Je n'ai aucune idée de ce que je vais trouver là-bas, je n'ai jamais pris la peine de contrôler quoi que ce soit depuis le déménagement, abandonnant le soin à la société que j'ai recrutée de s'occuper de tout. Ce jour-là, j'ai payé le premier garde-meuble proche de mon atelier et laissé les professionnels opérés sans effectuer la moindre vérification. Faut dire que je me suis retrouvée dans un tel état de léthargie que je n'ai prêté aucune attention à mes toiles que je considère pourtant comme de vrais trésors. La réalité soudainement me rattrape, je suis au bord de la crise d'angoisse imaginant les pires scénarios sur ce que nous allons découvrir.

Plus aussi sûre d'avoir pris la bonne décision, je sors de ma voiture, rapidement entourée d'un tas de personnes qui me salue chaleureusement, je danse d'un pied sur l'autre. Fébrile, je m'avance vers la grande porte en bois à deux battants que je mets un certain temps à déverrouiller. Avec difficulté, je pousse et dégage le passage, je plisse les yeux dans une dernière prière pour que l'endroit soit à peu près décent et m'enfonce doucement.

La respiration toujours bloquée, j'ouvre les paupières sous les remarques admiratives de James. Miraculeusement, mes affaires ont été rangées à l'identique de mon ancien atelier. Tout est parfaitement à sa place, si les murs n'étaient pas en brique apparente et le sol en terre battue, je me croirais revenue dans mon loft. L'odeur de ma peinture mêlée à celle de la poussière compose une fragrance délicate et l'espace de quelques secondes, je me sens en paix.

— La lumière naturelle qui traverse le velux est extraordinaire James, nous devrions vite nous installer si nous voulons la capter, lance un technicien.

— Bien, faites donc, répond le réalisateur arpentant mes tableaux.

Mon sentiment d'apaisement se fait chasser par ma rage quand il s'arrête devant celui que j'étais en cours de réalisation.

— C'est votre prochain projet, m'adresse-t-il songeur.

— Euh, ce n'est plus vraiment d'actualité, brodé-je.

Je n'ai pas le désir de lui révéler que cette maudite toile va finir en feu de joie. Le trait fin de mon esquisse au fusain censé représenté une ébauche de décor cotonneux, symbole de notre premier anniversaire de mariage me fout la gerbe. Aujourd'hui, le coton, j'ai plutôt envie de lui fourrer aux fonds des amygdales.

— Bon, très bien, et si nous nous installions, disons, par ici.

J'acquiesce le laissant prendre en charge la suite. Pendant que son équipe dispose deux tabourets face à face où l'on m'invite à prendre place, mon esprit reste focaliser sur mon œuvre inachevée.

— Alors je vais faire un point sur les différents thèmes que j'aimerai que nous abordions pendant que la maquilleuse nous prépare pour la séquence interview.

Je lui adresse un hochement de tête n'écoutant que d'une oreille la suite :

— Je commencerai par vous présenter, je ferai référence à votre parcours atypique... vos aspirations... et aussi vos projets. Et puis pour finir... si vous êtes d'accord ? conclut-il un peu plus fort devant mon manque de réaction.

— Euh, oui, bredouillé-je. Mais d'accord pour quoi ? Pardon, je suis dissipée ce matin.

— Pour une petite description détaillée de certaines de vos toiles.

— Oh, ça ? Oui, bien sûr, lui confirmé-je dans un haussement d'épaules. J'ai beau essayer de me concentrer, mais rien n'y fait, mon regard reste bloqué sur ce souvenir jadis heureux d'un amour que je pensais si sincère.

Me sentant bouillir et prise d'un soudain dégoût, je me lève brusquement bien décidé à virer cette toile de mon champ de vision. J'ai à peine le temps d'approcher le chevalet que les événements se succèdent à toute allure. Trop focalisé sur ma rage, trop aveuglé par mon ressentiment, je n'entends pas le son de ce maudit monstre arriver. Ce n'est qu'une fois le dard planté dans mon cou que je comprends immédiatement être la victime de cet horrible petit prédateur.

La douleur vive de la piqûre me fait monter les larmes aux yeux et alors que je sens mon visage gonfler, je réalise mon erreur. Je suis sortie vite ce matin, pour la première fois depuis que je me sais allergique aux abeilles, je suis partie sans ma trousse de secours. Ma respiration commence un balai anarchique, une vague de chaleur atroce envahit le haut du corps et mon cœur battre à tout rompre. Prise de panique, j'articule péniblement en direction de James :

— Appelez... secours... allergie... abeilles...


*Aïe pauvre Auxane, que de péripéties... j'espère que ce début d'histoire vous plaît, n'hésitez pas à vous abonner, liker et commenter, vos retours sont toujours très précieux. Merci à tous.

Joyeuse CocueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant