Chapitre VII

33 8 3
                                    

Un petit coup contre ma porte m'annonce la visite de ma sœur. Toujours en colère, je lui ouvre et me radoucis à la vue de mon bagage à ses côtés.

— Tu n'avais pas besoin de te donner cette peine, je serais venue la prendre.

— C'est J.B qui te l'a monté, ta valise pèse au moins cent kilos ! je ne sais pas ce que tu as mis dedans... sourit-elle.

— Tu as vu le poids de ton trousseau de clés ? retorqué-je.

Son visage s'assombrit, faisant passer un voile de tristesse sur ses traits. Alors que j'entrouvre la bouche prête à la fustiger pour cette susceptibilité futile, elle me coupe dans mon élan :

— Auxi, j'ai un service à te demander, minaude-t-elle.

Toujours statique dans l'embrasure, mon corps se crispe parant toutes éventuelles requêtes désagréables.

— J'ai besoin que tu ailles récupérer Alexandre pour moi à l'aéroport demain.

Mes lèvres s'arrondissent, je suis sur le point de lui déverser un flot d'obscénités lorsqu'elle m'interrompt une nouvelle fois :

— S'il te plait Auxi, je ne pourrais pas m'y rendre et je lui aie promis que je viendrais le chercher...

— Et, Monsieur le grand architecte ne peut pas prendre un taxi ? Ce traitement de faveur n'est réservé qu'à moi ! Je suis trop stéréotypé populace, accentué-je de mes doigts, quand monsieur fait partie de la haute société...

— S'il te plait, Auxi...

— Et arrête de m'appeler par ce surnom ridicule, éructé-je.

— Tu sais, je suis vraiment désolée, j'aurais vraiment souhaité venir te chercher, ne m'en veut pas, je t'en prie.

Son expression si larmoyante soit elle ne m'émeut pas, mais je cède à sa requête dans l'espoir de la voir déguerpir de ma chambre.

— Et je sais que les quelques fois où je t'ai parlé de lui, je n'étais pas tendre, mais je t'assure que c'est vraiment quelqu'un de bien. Il n'est pas le même dans la vie privée qu'au travail donc si tu pouvais te montrer sympathique, grimace-t-elle.

— Oui, j'ai compris, Alexandre gentil, Auxane très méchante...

— Non, ce n'est pas ce que je voulais dire Auxi... Auxane, se reprend-elle.

— Je t'ai dit que j'abdiquais, j'irai chercher ton charmant beau-frère.

— Merci, tu pourras emprunter ma voiture, il atterrit à 7h00, s'il te plait, ne le fais pas trop attendre.

— J'ai saisi Loreleï, tapis rouge pour Ducon et comment est-on sensé se reconnaître ?

— Tu n'auras qu'à porter un signe distinctif, une écharpe bleue, un bonnet, peu importe, je l'en informerai par message...

— Oh et puis tu sais quoi, non, c'est bon, ne t'inquiète pas pour ça, j'ai déjà ma petite idée, souris-je en refermant la porte.

En quête d'un bout de carton, je trifouille un peu partout trouvant rapidement ce dont j'ai besoin. Après tout, quel meilleur accueil pour un invité qu'une pancarte ? Fière de mon écriteau, je prends soin de le cacher sous mon lit, histoire que ma sœur horrifiée par mon humour grinçant ne le foute à la poubelle.

Le réveil n'a pas sonné que mon beau-frère gratouille derrière ma porte pour me souffler de ne pas oublier Alexandre. D'un mouvement vif, je jette mon coussin à travers la pièce meuglant que le prochain qui ose me déranger pour ça, je lui arrache les yeux. Je perçois la voix étouffée de J.B s'excuser puis m'informe avoir laissé les clés de la voiture de Loreleï à côté de mon café déjà servi. Traduction : lève-toi et ne sois pas en retard ! Non, mais on croit rêver ! On dirait qu'on attend le Messie sans déconner ! Évidemment, cet empressement matinal n'arrange en rien mon humeur déjà bien maussade. Je traîne un peu des pieds sous la douche, c'est vrai, mais qu'il se rassure, je tiens tellement à accueillir Monsieur Sander avec toute l'attention qu'il mérite que je ne serais certainement pas en retard.

Une fois emmitouflée dans ma veste, entortillée de ma large écharpe en laine, j'attrape les clés sans même toucher à mon petit déjeuner gentiment et soigneusement préparé par mon beau-frère. Je n'oublie pas de récupérer ma jolie pancarte et file à la hâte en direction de la petite citadine garée devant. J'imagine qu'une fois encore J.B a fait preuve de prévenance en me la sortant du garage, ce qui devrait m'insuffler un brin de reconnaissance ne fait qu'accroître mon énervement.

Si je trouve une place de stationnement sans trop de difficulté, traverser l'aéroport relève du parcours du combattant. Les fêtes approchantes tous se ruent vers cette destination propice à la période. Je pense qu'il y a de ça quelques mois j'aurais été en mesure d'en apprécier son charme... Aujourd'hui, je ne constate qu'une foule de casse-pieds excités courant dans tous les sens.

Arrivée enfin au but, je prends un malin plaisir à afficher ma pancarte et présenter clairement le nom écrit en grosse lettre rouge de l'invité que j'attends. Il me tarde de voir le grand Alexandre Sander se décomposer devant ma petite maladresse. S'il est tel que me le décrivait ma sœur durant son stage, son égo surdimensionné risque d'en prendre un coup.


Alexandre.


Je réajuste le col de mon trois quart avant de sortir de l'appareil me parant à ce froid sibérien. Oui, j'exagère certainement un peu, mais je déteste le froid. Je déteste devoir être aussi loin de mon bureau et par-dessus tout, je déteste le fait que Loreleï m'envoie sa sœur dépressive pour venir me chercher. La foule compacte rend difficile mon avancée et une fois ma valise enfin entre mes mains, mon regard s'accroche sur une pancarte fièrement brandie au loin.

Évidemment que je saisis à cet instant qu'elle m'est destinée. Tout comme je comprends l'intention de l'auteure de me ridiculiser. Lire mon nom transformé en SANDER-PIEDS m'irrite profondément, mais l'espèce de grosse barbe à papa qui attend sans doute de moi une réaction est bien loin de me connaître. La pauvre dépressive s'imagine pouvoir lâcher sa frustration sur les gens qui l'entoure, trouve sans aucun doute un brin de réconfort en faisant preuve de mesquinerie. Peut-être est-il temps qu'elle affronte un véritable adversaire et surtout un à sa taille.

Un début de rictus malsain au coin des lèvres, je m'avance fièrement, arrivé à sa hauteur la toise d'un air défiant et méprisant. Ses paupières se froncent, je jurerais presque entendre les insultes silencieuses qu'elle m'adresse. Frustrée, elle pli la pancarte qu'elle jette dans la première poubelle et rejoint à la hâte la sortie. Je lui reconnais une certaine vivacité, c'est qu'elle me sèmerait presque la petite aigrie. Amusé de sa réaction, je zigzag me frayant un chemin entre les touristes ébahis. Sans se soucier de savoir si je suis toujours sur ses talons, elle traverse le parking et grimpe dans la voiture la démarrant à toute vitesse. J'ai à peine le temps de poser ma valise dans le coffre et de rejoindre l'habitacle que cette pauvre folle a déjà le pied sur l'accélérateur. Impossible pour moi d'apprécier le paysage si enivrant d'Aspen à cette allure le décor défile bien trop vite, pour autant je garde de faire la moindre remarque. J'émets toutefois quelques grognements lorsqu'elle freine un peu tard et manque de s'encastrer dans la voiture de devant.

Ce trajet est un enfer, le silence devient pesant, l'air vient à faiblir et un sentiment de soulagement émerge lorsque j'aperçois enfin la magnifique demeure de mon frère et sa future femme. Encore une fois, mon chauffeur dans l'indifférence la plus complète se gare et sort du véhicule sans un regard.

Quand on connait Loreleï et sa douceur, on a du mal à concevoir que la personne que je viens de rencontrer est sa sœur. Abandonné à mon propre sort dans la solitude la plus totale, la folle ayant déjà prit la poudre d'escampette pour se terrer, je ne sais où, je découvre émerveillé la somptueuse bâtisse que je vais devoir partager pendant ces prochaines semaines. 

Joyeuse CocueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant