Chapitre II

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J'inspire profondément prête à en découdre avec le premier entrepreneur qui daigne assister à notre entrevue et rejoins la pièce centrale. De son bon deux mètres, l'artisan en maçonnerie me toise un bref instant avant d'avancer sa main que je snob.

— Dis donc, vous ! le harponné-je sans politesse. Si vous respectez vos délais autant que les heures fixées pour une réunion ça ne va clairement pas le faire !

— Je vous demande pardon ? s'offusque-t-il le regard noir.

— Vous m'avez très bien comprise ! Quarante-cinq minutes de retard, c'est juste intolérable ! crié-je en vérifiant l'heure sur ma montre.

— Alors, on va se calmer ma petite dame, je vous signale que je ne devrais même pas être là ! Imaginez ma surprise quand j'ai vu mon projecteur allumé en passant, j'ai pensé qu'un de mes ouvriers avait oublié de l'éteindre hier. C'est quand même vous qui avez décidé d'annuler la réunion non ?!

— Ne.m'appelez.pas.ma... petite... dame, le menacé-je mon index dressé en direction de son menton. Et c'est quoi ces conneries, je n'ai rien annulé du tout !

Irrité par mon énervement et surtout paraissant être le style d'homme qui n'apprécie pas se faire remonter les bretelles par une femme, il plonge la main dans sa poche et en ressort son portable. Je tente de me calmer durant ce court laps de temps en détaillant l'imposant mastoc qui s'érige devant moi. Je n'aime absolument pas ce type, déjà, lorsque mon ex me l'a présenté, j'ai senti tout de suite que j'avais affaire à un connard machiste et misogyne, nos échanges suivants ont largement confirmé mon ressenti. Pourtant, comme la reine des bécasses, j'ai sagement écouté mon mari qui paraissait connaître son sujet en termes de meilleurs entrepreneurs de la région.

— Et ça ? C'est moi qui l'invente peut-être ? me pointe-t-il sous le nez.

La luminosité à fond de son écran me fait plisser les yeux et je mets quelques secondes à lire les quelques mots qu'il me montre.

# A.Sesloux

Réunion annulée. Cordialement.

— C'est une plaisanterie ? aboyé-je en sa direction.

— Va falloir vous calmer, j'y suis pour rien si vous ne savez plus ce que vous faites ! Je veux bien être compatissant pour l'épreuve que vous traversez en ce moment, mais faut voir à ne pas pousser !

— Je vous prierai de garder vos remarq ues désobligeantes sur ma vie privée pour vous ! Et ce mail n'est pas de moi ! Il me semble que jusqu'à présent ce n'est pas avec cette adresse que je communique, non ? crié-je. Non, mais éclairez-moi, des fois que j'ai des fils qui se touchent !

— Non, bien sûr, nous avons juste pensé que vous aviez changé d'adresse pour vous présenter sur votre nom de jeune fille puisque... enfin, vous voyez.

— Et bien ne pensez plus, ça ne vous arrange pas !

— Vous convenez quand même que je n'ai pas inventé ce courriel, quelqu'un à bien écrit ça ? s'insurge-t-il les yeux exorbitants.

Je le stoppe de ma main ne souhaitant pas entrer dans ce débat stérile.

— Soit, je vous le concède, un petit malin vous a envoyé une connerie, il ne vous ait pas venu à l'esprit de vérifier directement par téléphone ?

— Dîtes donc, c'est pas comme si vous étiez mon unique cliente et que j'avais que ça à faire ! râle-t-il.

— Oui, je comprends, je tâcherai de m'en souvenir au moment de signer les prochains chèques, après tout, vous n'êtes pas le seul artisan avec qui je dois traiter...

— Écoutez, de toute manière, moi je ne peux plus rien pour le moment, nous sommes bloqués par le plombier, donc occupé vous plutôt de ça et faites-moi signe une fois le problème réglé.

Me laissant pantoise, la bouche entrouverte prête à lui lancer une réponse cinglante, il tourne les talons et déguerpie en marmonnant « un connasse » à peine perceptible.

Prise d'un élan de rage, j'enlève ma basket que je jette en direction de la porte. J'étais certaine de ne pas pouvoir l'atteindre vu que monsieur a décampé à toute allure, mais j'ai eu espoir de ressentir une pointe de satisfaction à laisser parler ma colère. Au lieu de quoi, je le suis bien plus encore en constatant que je viens de péter son allogène à la con. Je contemple les petits bouts de verre au sol et m'affale de tout mon poids sur le sac de ciment qui traîne respirant au passage quelques émanations de poussière qui me déclenche une quinte de toux incontrôlable. Bien décidé à vite trouver refuge chez moi, je récupère ma chaussure, claque la porte en sortant et mets quelques secondes à trouver mes clés dans le fouillis de ma sacoche. Inutile que j'attende plus longtemps, j'imagine que le gros con n'est pas le seul à avoir reçu ce mail et que ces abrutis ont tous pris pour argent comptant ce qu'ils ont lu sans jamais daigner me contacter directement. Alors que je continue à tousser presque en m'en étouffer, une pompe à la main et l'autre fermant l'atelier, une légère tape sur mon épaule m'arrache un sursaut.

— Auxane Sesloux, c'est un plaisir de vous rencontrer enfin.

Mon cœur se serre en reconnaissant cet accent et ce timbre si particulier, je perçois mon reflet effrayant dans ma vitrine et suis parfaitement consciente que je vais passer pour une folle furieuse, alors, je reste immobile, crispée à la poignée.

— Monsieur Kalfman ? osé-je timidement la voix raillée par ma gorge piquante.

— Je vous avoue que j'ai été très surpris par votre message, mais je suis ravie que notre entretien soit avancé, poursuit-il.

Je croise le regard de l'homme que j'admire dans la vitre et sais pertinemment que je n'ai plus le choix. Je vais devoir affronter ses yeux, le visage rougit d'avoir tant toussé, les cheveux en bataille sûrement pleins de poussière, une chaussure toujours à la main, je respire un grand coup avant de pivoter.

— Oh, ça va ? s'inquiète-t-il ?

L'air stupéfait de son expression me conforte dans l'idée du spectacle que je lui offre. Hésitant entre l'envie de hurler ou de pleurer, je me pare de mon plus joli sourire comprenant le malentendu auquel je fais face.

— Avez-vous eu un mail de ma part changeant la date de notre rendez-vous prévu initialement dans trois mois ?

— Oui, tout à fait, c'est pour cela que nous sommes ici, lance-t-il dubitatif.

— Quand vous dites nous ? m'inquiété-je.

— Et bien, je parle de mon équipe, nous sommes tous là, ils ne vont pas tarder, ils sont en train de déballer le matériel...

— Je suis confuse, le stoppé-je, mais c'est un énorme malentendu. je me suis faite pirater, ce n'est moi qui vous ai envoyé ce mail, je suis vraiment désolée, mais je ne peux vous recevoir, les travaux sont toujours en cours et surtout bien loin d'être fini...

— Oh, non, c'est pas possible, je suis navré, mais je ne pourrais pas vous booker une autre date avant la fin de l'année prochaine. Vous comprenez pour vous avancer celui-là, j'ai déjà dû faire pas mal de changement, se lamente-t-il.

C'est donc avec dépit et sans être sûre de ce que je vais lui proposer que je lui lance :

— J'ai peut-être une solution.

Joyeuse CocueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant