Chapitre 30

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Date de rédaction : 24/04/2023

Calixte

La solitude, je la côtoyais depuis toujours. De même que le deuil, des camarades, des amis, de la famille, ils finissaient tous par y passer. Mais moi je restais là, debout, impassible, car c'est de cette manière que l'on m'avait appris à me comporter. Ne jamais rien laissé m'atteindre. Garder les épaules droites. Qu'aucune épine ne pénètre ma défense. Alors même si je demeurais silencieux, cette fois-ci, j'avais le réel sentiment de toucher le fond, que plus rien de bon ne pourrait arriver. Sans la moindre hésitation, sans une once de regret, j'avais accepté l'ordre pour me lancer dans un genre de mission suicide. Ils voulaient me faire payer mon échec, sans pour autant le formuler de cette manière, je le ressentais ainsi, surtout lorsque mon supérieur, le colonel Stuart Smith, m'avait sommé de me rendre sur-le-champ à Raqqa. Je n'avais pas contesté, de toute façon, que pouvais-je faire de mieux ?

Hana m'aurait secoué comme un prunier pour me ramener à la raison. Elle n'aurait pas hésité une seconde à défoncer la porte des bureaux au dernier étage pour remonter les bretelles de Smith.

Mais Hana n'était plus.

La dernière représentation que l'on a d'un défunt est la plus importante. Nous espérons conserver un bout de sourire, un beau moment passé à créer de jolis souvenirs, il n'y a rien de plus apaisant que de dire adieu à un proche tout en gardant en mémoire une merveilleuse image. Mais, à mon grand malheur, le seul cliché qui me hantait lorsque je pensais aux derniers instants de mon amie, était le sang. Hana avait agonisé, noyée dans son propre sang ! Seule... Je n'étais pas là. J'aurais pu empêcher ça. Mais je n'étais pas là !

Une rage grandissante grondait dans mes poings. Cette nuit-là, j'avais offert ma plus belle démonstration d'impuissance. Alors en acceptant de me rendre au cœur du conflit, c'est pour la simple et bonne raison que je n'avais plus rien à perdre.

Je la cherchais à tâtons cette fin. Et pour l'heure, si je pouvais encore me rendre utile, rattraper mes conneries, je me sentais prêt à braver la menace et sacrifier ma vie. Mourir ne m'inquiétait plus. Je ne manquerais à personne.

— Hey Wiles ! C'est pas le moment de rêvasser !

Encore un peu à la ramasse à cause de mes nuits courtes et du décalage horaire, je me frottais les yeux et essuyais la sueur sur mon front. Il faisait une chaleur à crever sous cette tente. Chaque respiration me brûlait et me donnait le sentiment de m'étouffer sous des quantités de sable et de terre.

Un coup contre l'épaule me ramena sur terre. C'était Spencer avec son regard dur qui redoutait encore une réprimande de la part de Powell, notre capitaine. Ce dernier posa son doigt sur un coin du tableau noir. En hauteur se distinguait un portrait. Celui de Tommy Reagan, il se trouvait sur la liste. Et son nom fut l'un des premiers à fuiter. Il était dans un sale état, raison pour laquelle on se devait de le rapatrier dans les plus brefs délais. Son refuge, Tommy l'avait déniché dans un hôpital en bordure de l'agglomération. Depuis la fin des combats, bon nombre d'habitants regagnaient peu à peu la ville dévastée par les bombardements syriens et les assauts djihadistes. Raqqa tentait de renaître, mais elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Les extrémistes couraient encore, et savoir qu'un « journaliste » les avait espionnés d'un peu trop près ces dernières années rendait la situation des plus délicates.

Si mon nom venait aussi à sortir, alors je me retrouverais comme Reagan avec un pied dans la tombe. Ils n'oubliaient jamais un visage et encore moins le nom d'un traitre. Oh certes, ils ne me retrouveront pas en une journée, mais je devrais vivre constamment sur mes gardes, car tout se paye un jour. Et ma loyauté envers une patrie qui se foutait de voir ses citoyens crever dans l'espoir d'éviter la casse ou bien le drame diplomatique commençait à s'effriter. Je remettais même en question ma vocation. Putain, Archie me flinguerait pour m'autoriser ce genre de pensée. Par réflexe, mon regard s'égara sur la Piaget qu'il m'avait offerte bien des années plus tôt. Je ne voulais pas le décevoir, mais soyons honnêtes, où avançais-je ? Qui servais-je ? À qui profitait ma présence ? J'étais un pantin. Je pensais servir mon pays. Faire le bien... Mais ma conception de la satisfaction et du bonheur s'étiolait. J'avais le sentiment de tout rater. Je ne me reconnaissais plus. Isis au moins assumait et allait au bout de ses idées. Elle n'échouait jamais. Et elle se couvrait sans arrêt de félicité. Enfin, tout ça, c'était jusqu'à ce qu'on foute en l'air notre mission.

La Voleuse aux Mains d'Or - Tome 1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant