Une semaine en suspens

Jour 5

Le chant des oiseaux et la lumière du jour tirèrent Kaveh du sommeil. Il ouvrit les yeux et vit aussitôt Alhaitham, endormi à ses côtés sur le ventre, le drap entortillé maladroitement autour de lui ne suffisant pas à camoufler totalement sa nudité. Kaveh sentit ses joues s'empourprer en même temps qu'un petit sourire étirait ses lèvres.

Des images de la nuit dernière lui traversèrent l'esprit en rafales, mais il avait tout de même du mal à croire que c'était bien réel. La seule chose qui le lui confirmait était la présence d'Alhaitham, totalement dénudé, dans son lit en cette matinée ensoleillée. C'était la preuve concrète que la nuit qu'ils avaient passée ensemble ne relevait pas de son imagination.

La veille au soir, Kaveh s'était effectivement piégé à son propre jeu et avait capitulé face à Alhaitham qui avait fait semblant de céder le premier. Il avait perdu toute raison, tout intérêt pour cette victoire pourtant anticipée, et s'était tout simplement laissé aller à son instinct et son désir. Suite à cela, Alhaitham l'avait bel et bien emmené dans sa chambre, où ils s'étaient embrassés avidement une fois de plus avant de tomber à moitié sur le lit, dans un mélange d'empressement et de maladresse. Ils s'étaient en effet déshabillés avec frénésie, comme le prouvaient maintenant les vêtements et la serviette qui jonchaient le sol de sa chambre ici et là.

Kaveh n'avait rien imaginé. Ils avaient partagé une nuit hors du temps, cédant à tous leurs désirs jusqu'alors inassouvis. Leurs corps s'étaient rencontrés, comblant ainsi un furieux besoin de contact qu'ils n'avaient plus su ignorer. Kaveh avait du mal à mettre des mots sur ce qu'il avait ressenti. À travers cette union physique et le plaisir qui en avait découlé, il avait ressenti un lien spirituel qu'il lui était difficile de définir. Il avait eu l'impression d'entrer dans un autre univers, dans lequel seule sa relation avec Alhaitham ne comptait. Il avait eu la sensation que chaque toucher, chaque caresse répondait à bien plus qu'un simple désir charnel. C'est comme si la rencontre de leurs corps avait permis à leurs esprits de découvrir une nouvelle forme de connexion. Il n'avait jamais ressenti ce genre de choses auparavant, encore moins à une telle intensité.

Tout ce qu'il savait, c'est qu'une fois blotti contre Alhaitham, à quelques minutes de sombrer dans les bras de Morphée, une plénitude presque béate l'avait envahi. Pour la première fois depuis longtemps, il s'était senti parfaitement à sa place là, dans les bras d'une des personnes à qui il tenait le plus en ce bas monde, peu importe ce qu'il en montrait. Pour la première fois, il avait eu l'impression que tout tournait parfaitement rond dans son univers personnel. Et il avait compris, sans même pouvoir le nier, qu'il vivait un précieux instant qu'il avait inconsciemment attendu et espéré.

Après toutes ces années à observer Alhaitham de loin, à se chamailler avec lui pour un oui ou pour un non, à vivre avec lui en prétextant ne plus le supporter, Kaveh avait enfin compris ce qui se passait dans son cœur et dans sa tête. Il avait compris et effleuré du doigt l'ampleur de ce qu'il ressentait à son égard et si c'était effrayant, ce n'en était pas moins galvanisant et enivrant. Cette nuit avait changé quelque chose en lui et il ne pourrait plus jamais revenir en arrière, il le savait. Ce constat suffisait à affoler son corps.

Ce matin, Kaveh voyait son propre univers plus clairement que jamais. Cette nuit qu'il avait passée avec Alhaitham l'avait obligé à voir la vérité en face, cette vérité gênante qu'il s'était toujours efforcé de cacher, aussi bien à lui-même qu'au reste du monde. La fascination qu'il avait ressentie pour lui la première fois qu'il l'avait vu à l'Académie n'avait jamais rien eu d'anodine. Toutes les émotions, intenses et contradictoires, qui l'avaient traversé depuis qu'il vivait avec lui n'étaient pas seulement dues aux aléas de la cohabitation. Toutes les choses qu'il s'était répétées pour se rassurer n'étaient que des illusions.