Jour 2

439 43 33
                                    

Lorsque Kaveh arriva dans le salon ensoleillé, il fut momentanément aveuglé et son mal de tête s'intensifia. Il se laissa tomber sur une chaise, non loin d'Alhaitham qui lisait un livre en buvant une tasse de thé. Ce dernier ne sembla pas lui accorder la moindre attention. Kaveh n'en était pas vraiment sûr parce que ses yeux avaient du mal à s'ajuster à la lumière. Il avait la nausée et avait l'impression de tanguer. Il avait évidemment abusé de l'alcool la veille au soir et en payait maintenant le prix fort. Il avait même oublié comment s'était terminée la soirée. Il s'accouda à table et laissa sa lourde tête tomber dans le creux de sa paume.

- Haitham... par pitié, fais-moi un thé, je t'en supplie, geignit-il.
- Tu peux pas le faire tout seul ?
- Je crois que je vais vomir ici même si je bouge trop. À toi de voir.

Alhaitham soupira, posa son livre et se leva. Kaveh le regarda du coin de l'œil préparer du thé avec application.

- Ça ne m'étonne pas que tu sois dans cet état. T'as vraiment abusé, hier soir.
- Désolé, j'avais besoin de me vider la tête.
- ... Tu te souviens de toute la soirée, au moins ?
- Non. Je me souviens qu'on a fait à manger, qu'on a mangé et beaucoup parlé et puis... c'est le trou noir. Au moins, j'ai su retrouver le chemin de mon lit.

Le scribe posa une tasse de thé devant Kaveh, qui le remercia, avant de se rasseoir en le fixant d'un air moqueur.

- Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit l'architecte.
- Et bien plus exactement, j'ai fait à manger pendant que tu te plaignais d'avoir super faim et tu as beaucoup parlé. Puis crois-moi, tu aurais été bien incapable de retrouver ton lit tout seul. Si je t'avais pas aidé, tu aurais passé la nuit sur cette table.

Kaveh sentit ses joues s'empourprer. C'était loin d'être la première fois que ce genre de mésaventures lui arrivait, mais cela ne rendait pas moins vive la honte du lendemain matin.

- ... Désolé, murmura-t-il.
- T'as pas besoin de t'excuser. J'étais de bonne humeur et pour la première fois depuis longtemps avec ce confinement, je n'ai aucune obligation. T'étais un divertissement appréciable. Puis tu m'as complimenté. Ça change de toutes les fois où tu me cries dessus, même si c'était un peu bizarre.
- Moi ? Je t'ai complimenté ? N'importe quoi.

Le visage de Kaveh s'enflammait de plus en plus. Qu'avait-il pu bien dire la veille au soir ? Il n'avait aucun problème à reconnaître les bons côtés d'Alhaitham, mais il perdait trop souvent leurs disputes pour se permettre de les admettre à voix haute. Cela revenait à donner des munitions à l'ennemi. Et puis, c'était embarrassant. Kaveh et Alhaitham n'avaient pas ce genre de discussion à cœur ouvert, c'était bien trop sentimental et gênant. Ils savaient qu'ils se respectaient mutuellement, cela leur suffisait. Ils préféraient se concentrer sur leurs nombreux points de désaccord. C'est ainsi qu'ils communiquaient le mieux.

- Je t'assure que c'est vrai.
- Ah oui ? Et qu'est-ce que j'ai dit alors ?
- Tu as dit que j'étais quelqu'un sur qui on pouvait compter. Que tu étais content de m'avoir rencontré. Et aussi, que j'étais brillant et que tu comprenais que l'Académie m'ait supplié de prendre le poste de Grand Sage intérimaire.

Cela aurait pu être pire mais c'était suffisant pour que Kaveh se sente mortifié. Il avait passé son temps à claironner que cela n'avait aucun sens qu'Alhaitham ait obtenu ce poste si haut placé. Évidemment il ne l'avait jamais pensé, mais c'était une opportunité facile qu'il avait saisie.

- Je... je suis sûr que tu mens, bafouilla-t-il sans conviction.
- Kaveh, tu me connais. Tu me crois vraiment capable d'inventer ça ?
- ... Non.

Kaveh se réfugia derrière sa tasse de thé sous le regard hautement satisfait d'Alhaitham.

- J'ai toujours su que tu m'admirais, dit ce dernier en prenant un air hautain. Tu devrais me prendre pour modèle.
- Tu parles, dans tes rêves. N'oublie pas que je suis ton aîné, Haitham. C'est toi qui devrais me prendre pour modèle.
- Tu as vingt-huit ans et j'en ai vingt-six, ça compte à peine.
- Bien sûr que ça compte !

Une semaine en suspensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant