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Il y avait quelque chose de chaud. Isil mit un moment à comprendre que c'était des bras qui la soulevaient. Il y en avait un sous ses cuisses, et l'autre dans le creux de son dos. Cela sentait la mer. Curieusement, elle n'avait pas mal.

— Thaal ?

Sa voix était minuscule, perdue dans son pourpoint.

— Oui, princesse ?

Elle tressaillit.

— Pourquoi princesse ?, demanda-t-elle d'une toute petite voix.
Elle entendit son rire vibrer à travers la cape dans laquelle il l'avait enveloppée. Elle devait être invisible dans son manteau, rien de plus qu'un gros paquet encombrant.

— Parce que ton carrosse est apprêté, princesse.

Peut-être qu'il mentait. Peut-être lui avait-on dit la vérité. Peut-être était-elle endormie, et en train de rêver.

— Où est-ce que–

Isil s'interrompit, cherchant ses mots.

— Tu es blessée, princesse, fit la voix de Thaal dans le lointain. Garde tes questions pour demain, tu veux ?

Ils passèrent une porte, puis Isil sentit qu'il la déposait sur une table. Une couverture s'enroula autour de ses épaules, la réchauffant là où sa chemise s'était déchirée. La chaleur de Thaal disparut un temps, puis réapparut, avec celle de deux mains au bas de sa chemise, et la fraîcheur d'un gant mouillé d'eau à l'asceptine.

—Je peux ?

Isil hocha la tête, et elle sentit sa chemise collée de sang s'arracher petit à petit de sa peau moite alors que le gant de Thaal nettoyait doucement ses plaies.

Il ne posa aucune question. Ni sur ses vertèbres brisés, ni sur le fait qu'elle n'était pas paralysée, ni sur ce qu'elle faisait à quelques mètres de la salle du trône, couverte de sang. Il se contenta de nettoyer ses plaies, de lui prêter une de ses chemises, et de la coucher dans son lit, qui était froid.

Il était vraiment froid. Ça, et la peur que Thaal ne soit pas vraiment Thaal, mais (dans l'ordre croissant des préoccupations d'Isil) un espion néréide,
un espion de la Reine,
un espion de sa sœur,
le chasseur qu'elle aurait envoyé pour Isil,
et Isil se mit bientôt à claquer des dents. Ses muscles, tout atrophiés par les efforts qu'elle avait fait pour maintenir son dos, ne pouvaient plus l'aider. 

L'angoisse montait avec le froid. Isil ne comprenait pas pourquoi elle n'avait toujours pas mal. Si la douleur se déclarait pendant la nuit, elle ne pourrait pas marcher au réveil, et devrait rester dans cette position humiliante : blessée, impuissante, dans le lit d'un néréide qu'elle connaissait à peine et qui déjà avait tout vu d'elle : son visage, les cicatrices qui barraient son dos.

— Isil.

La voix de Thaal s'était élevée dans le noir de la chambre.

—Tu fais trembler le lit, Isil.

Il sembla hésiter une seconde, puis dit :

—Le canapé est chaud, et je t'entends claquer des dents jusqu'ici.

Isil se mordilla la lèvre.

— Je ne peux pas marcher, je crois.

Un bruissement de couvertures, et deux bras se refermèrent autour d'elle. Il se retenait d'appuyer sur ses plaies – elle le sentait à peine. La chaleur de son torse rayonnait vers le dos d'Isil, sans qu'il la touche.

Elle s'endormit immédiatement.


Le conte des reines du rocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant