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Pour écrire une histoire, vous devez d'abord tailler un crayon et écrire ce que vous voulez dire. Pour le meilleur ou pour le pire, ceci est l'œuvre d'une vie.

Jim Harrison





𝔓𝔬𝔲𝔯 𝔱𝔬𝔦, 𝔪𝔬𝔲𝔣𝔩𝔢𝔱𝔱𝔢.







Derrière la tenture, un nez dépassait du mur de pierre. Le nez se lissa, renifla, à la recherche d'une odeur humaine, mais ce n'étaient qu'effluves de champagne, de fumée, et l'odeur âcre du maquillage en train de couler.

Le nez disparut à l'intérieur du mur.

Quelques minutes plus tard, il réapparaissait, suivi d'un visage fin, d'une robe de soirée trop grande, d'une sacoche — d'une fille enfin, et de la peluche qu'elle avait sur l'épaule.

La peluche agita sa tête de chat, bleue et blanche, et dit à voix basse :

— N'oublie pas ton masque.

La fille acquiesca et glissa sa main droite dans sa sacoche, les yeux toujours fixés sur les formes qu'elle entrapercevait derrière la teinture qui lui collait presque au visage.

Le maque qu'elle posa dessus était à sa taille exacte, la recouvrant de velours noir du front au menton, avec seulement une ouverture pour les narines et pour les yeux.

— Je crois qu'on peut y aller, murmura-t-elle, la voix étouffée sous l'épaisseur du velours.

Le chat changea d'épaule, s'agrippa fermement à la lanière de la sacoche sur l'épaule gauche de la fille, et à celle de sa robe bleue nuit, qui aurait aussi bien pu être une chemise de nuit, tant elle était épurée.

Silencieusement, la jeune fille se glissa le long du mur, jusqu'à trouver un interstice entre deux tapisseries, par lequel elle se glissa dans la lumière des chandelles.

À l'autre bout de la salle, une femme hurlait à la mort. C'était une chiromancienne qui avait par erreur touché son amant sans ses gants. Ses yeux verrons roulaient derrière l'épaisse couche de paillettes, sa poitrine dans le corsage serti de saphirs, et son masque de renard gisait au sol. Un des danseurs de la horde qui s'approchait d'elle le piétina de sa botte.

Profitant de la diversion, la fille traversa la salle la tête basse, évitant les rires gras des parieurs, les rires aigres des débutantes, les rires mélodieux des magiciennes de la maison des chants, le grand rire de la femme rousse qu'elle entrapercevait dans une pièce voisine, et le garçon du couloir, qui, les bras croisés, au bord d'un groupe de favoris et de favorites en vue, ne riait pas.

La jeune fille inspira en passant derrière lui. Il sentait toujours l'océan. Il ne portait pas de masque, mais, alors qu'elle traversait la salle pour se rendre à la galerie des statues, il ne la remarqua pas. Rien d'exceptionnel. Personne ne la remarquait jamais. 


Alors que la silhouette en bleu marine tournait l'angle de la salle pour rejoindre le couloir aux statues, là où les couples déambulaient pour attiser les braises, le jeune homme s'excusa du groupe de courtisans pailletés, qui le pressaient de questions depuis qu'il était entré.

Il l'avait remarquée, et il voulait savoir où elle allait.

Le conte des reines du rocherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant