Isil paniqua ; elle le lâcha. Il ne retomba pas pourtant, et, se retenant des deux bras aux bords, il garda son visage à hauteur du sien.
Isil se redressa prestement, et il se laissa glisser dans l'eau de nouveau, baillant comme Tybert au sortir de la sieste. Sa tête retomba sur le bord de faïence. Les fossettes avaient disparues, mais ses sourcils étaient toujours vaguement posés au dessus de ses yeux. Ses prunelles, elles, étaient posées sur Isil.
Elle essaya de regarder autre chose que leur bleu magnétique. Ses cils, pourquoi pas ? Il les avait longs et lustrés, comme ses cheveux.
— Je crois que vous vous êtes trompés de chambre, finit-elle par dire platement.
Il avait le regard vague, trop vague.
— Bonsoir à vous aussi.
Il avait la voix pleine d'embruns.
— J'ai bien peur que nous n'ayons pas été présentés, dame...
— Isil. Et je me permettrais de sauter les formalités, sachant que vous vous trouvez actuellement dans ma baignoire.
Il sentait le vin de roses, également. Fort.
— Est-ce que pouvez vous lever ?, demanda-t-elle.
S'appuyant sur les bords, il tenta de se relever, mais ses bras lâchèrent, et ils retomba dans l'eau avec un bruit mouillé.
Il ne l'avait pas quittée du regard.
— Quelle genre de statue êtes vous ?, lui lança-t-il.
— Une gargouille, dit Isil en s'avançant pour le saisir à nouveau par les épaules. Venez là, je vais vous aider.
Cette fois, il s'accrocha solidement à son bras droit, et ils réussirent à le hisser par dessus le rebord. Il tenait à peine sur ses jambes, s'appuyant lourdement sur l'épaule d'Isil pendant tout le passage de la salle du bain à la chambre principale.
Le haut de son torse gronda contre le front d'Isil.
— Qu'y avait-il dans le vin de roses ?
— Des roses.
— Quoi d'autre ?
— Qui vous l'a servi ?
Il soupira profondément alors qu'elle l'asseyait sur son lit, le plus proche de la salle de bain. Isil le laissa quelque seconde pour mouiller un chiffon à la source d'eau qui coulait du mur dans un lavabo sur sa cuisinière.
— Je ne me souviens pas vraiment, lâcha-t-il dans son dos. Mais je crois que c'était la reine.
Isil s'immobilisa, mais pas assez longtemps pour qu'il le remarque.
S'en retournant vers lui, elle entreprit de nettoyer les paillettes et les traces de fard coulé maculant son visage, dévoilant les minuscules taches de son qui courraient sur son front, le long de son nez. Son regard s'éclairait, son corps de néréide se lavant à grande vitesse de l'alcool et de la souille. Plus les semaines passeraient, plus ce serait difficile.
Personne ne sait ce que la reine met dans son vin, murmura-t-elle alors qu'elle essuyait les traces pourpres autour de sa bouche. Vous a-t-elle violenté de quelque manière ?
Il secoua la tête : Nenni. Elle voulait seulement faire ma connaissance. Me montrer sa collection de plumes.
Isil sentit sa bouche se plier en un sourire un peu triste. La Basileia collectionnait les plumes exotiques comme le sang qu'elle tirait du cœur brisé de ses amants. Évidement qu'elle voudrait celui-là pour elle.
— Et comment l'avez vous trouvé ?, lui demanda-t-elle.
Elle devait le faire parler, pour éviter qu'il ne s'endorme avant de s'être purgé. Vu les grosses gouttes de transpiration qui roulaient sur son front, ce n'était plus qu'une affaire de minutes.
— C'était si lumineux, se força-t-il à répondre, la tête dodelinante. Des sorciers alimentent ses appartements en lumière jour et nuit. Je crois que je n'ai pas vu une seule ombre – seulement du verre, du verre et des plumes. Je suis parti.
Il se redressa, cligna des paupières. Ses yeux étaient d'un bleu foncé, profond, d'une clarté de lapis-lazuli. Il ne paniqua pas. Il ne souriait pas. Son regard était enfoui dans le sien.
— Je vous ai cherchée, dit-il, sa voix claire.
Isil se dégagea, chiffon à la main. Ses joues étaient chaudes, ce qui correspondait chez elle à une minuscule pointe de rose sur les pommettes.
— Pardon ?
— Dans la pierre. Je vous ai cherchée. L'eau de votre corps a une odeur de santal, vous saviez ça ?
— Dans les souterrains ?
— Dans la pierre. Dans l'eau de la pierre.
— Tu te transformes en eau ?
Elle manquait d'en lâcher son chiffon. Il avait trouvé sa chambre à travers plusieurs étages de souterrains. Ça dépassait tout ce que son père lui avait raconté sur les néréides.
Il plissa les sourcils, ses paupières battant de plus en plus vite.
— C'est assez compliqué à mettre en mots – mais... oui, quelque chose comme ça. Qu'est-ce que... ?
Visiblement, il n'échappait pas à l'endormissement qui suivait l'empoisonnement au vin de mûre, qu'on appelait le sommeil noir. Il n'allait pas passer une très bonne nuit – mais ce ne serait pas suffisant pour le faire regretter. Ça ne l'était jamais.
Isil se promit de boucher la trappe de la salle d'eau dès qu'il serait endormi. Tant pis, Tybert ne sortirait plus sans elle. Elle ne pouvait pas risquer que la reine envoie des soldats la débusquer.
— Pourquoi ?, demanda-t-elle précipitamment. Pourquoi me chercher ?
Je voulais savoir qui était – il se laissa glisser sur les draps – la fille – ses paupières se fermèrent – des souterrains.
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Le conte des reines du rocher
Fantasy𝔏𝔞 𝔯𝔢𝔦𝔫𝔢 𝔮𝔲𝔢 𝔱𝔬𝔲𝔰 𝔳𝔬𝑦𝔞𝔦𝔢𝔫𝔱, 𝔩𝔞 𝔣𝔦𝔩𝔩𝔢 𝔮𝔲𝔢 𝔭𝔢𝔯𝔰𝔬𝔫𝔫𝔢 𝔫𝔢 𝔭𝔬𝔲𝔳𝔞𝔦𝔱 𝔳𝔬𝔦𝔯. 𝕬u jour du jubilé, cela fera cinq ans que la dernière Basileia de Salem a disparue, assassinée dans ses quartiers un soir d'orag...