6 - Nuit chargée

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PDV Grell

Ça m'énerve. Elle refuse tous les ordres que je lui donne et discute toutes mes décisions. Qui aurait cru que cette gamine, après avoir toujours été sous un joug quelconque, possédait une telle fierté et avait un tel problème avec l'autorité ? La seule chose qu'elle a accepté sans discuter, c'est le fait que le service d'administration annonce à ses parents adoptifs qu'elle s'était suicidée à cause de son fiancé, preuve qu'elle n'était pas si attachée à eux que ça. J'ai cependant pu observer la déception sur son visage lorsque leurs mots lui ont été rapportés : "Dommage... Elle aurait pu nous rapporter pas mal d'argent en se mariant avec un vicomte. Enfin, nous ne l'avions adoptée que pour respecter le principe "Noblesse oblige", donc ce n'est pas bien grave". Quels salauds... 

 — Grell ! m'appelle Clara.

 — Mmh ? 

 — Pourquoi on est là, sur ce toit, alors qu'il doit bien faire -6°C ? se plaint-elle.

 — On attend, réponds je simplement.

 — Quoi, au juste ?

À l'instant même, une déflagration retentit et le manoir en face de la maisonnette sur laquelle nous sommes perchées prend soudain feu.

 — Ça. Allez, au boulot ! m'écrié je en attrapant ma faux de la mort avant de sauter à terre, suivie de Clara.

Celle-ci possède encore la faux toute simple des débutants, mais elle s'en contente, et retrouve immédiatement son enthousiasme.

 — Ok ! La première arrivée a gagné !

Elle part en courant et je m'élance à mon tour, acceptant le défi. J'arrive en première devant le bâtiment en flammes et déclare :

 — Je prends les filles !

 — Mais... Ok, c'est vrai que tu as gagné, capitule-t-elle en levant les mains pour signifier qu'elle accepte sa défaite. Je suis heureuse d'avoir une apprentie qui possède le même optimisme que moi lorsqu'il s'agit de faucher des âmes et qui accepte ma personnalité.

Je descends à toute vitesse les escaliers en direction du sous-sol, Clara sur mes talons. Nous découvrons sans surprise une bonne vingtaine d'enfants enfermés dans des cages, carbonisés, aux côtés des trois hommes responsables de leur état, eux aussi en train de brûler. Curieusement, il est écrit que le plus vieux d'entre eux est mort par balle et non par le feu. Il nous est cependant impossible de le vérifier, vu l'état du corps.

Clara et moi nous lançons alors dans une sorte de ballet macabre, plantant nos faux respectives dans les cadavres et fauchant les lanternes cinématiques. J'observe mon apprentie du coin de l'œil, car c'est la première fois que je l'autorise à faucher. Je reste éberluée devant sa "danse". Elle évite les flammes et manie sa faux de débutant comme un Shinigami expérimenté, je me demande bien qui peut être son père pour lui avoir légué un talent pareil...

 — J'ai fini, annonce-t-elle. Comment je m'en suis sortie ?

Je cligne des yeux.

 — Tu... Très bien. Pas mieux que moi, mais très bien.

 — Encore heureux, je ne suis que ton apprentie. D'ailleurs, depuis combien de temps exerces tu ?

 — Quatre-vingt-dix ans cette année. Mon épreuve finale fut aussi ma première nuit avec mon Willu, tu veux que je te raconte ?

Elle fait une moue dégoûtée.

 — Non, ça va aller, je vais m'en passer.

 — Tant mieux, ça aurait été long, et on a encore du boulot.

One-eyed reaperOù les histoires vivent. Découvrez maintenant