Au coeur du Chaos - Les ailes du démon

L'esprit plus clair

Cleena eut tout juste le temps d'entendre ce que l'homme, qui venait de s'inviter chez Laurelin, avait dit avant que la maîtresse de maison ferme la porte de la chambre de Keenan derrière elle. La jeune fille se débattit pour se défaire de la poigne de fer de la propriétaire de la demeure. Elle n'aurait jamais pensé qu'elle détenait autant de force malgré son corps bien en chair, mais Cleena avait agi par surprise alors elle réussit à se libérer de l'emprise de la femme. Elle tenta d'ouvrir la porte pour rejoindre le médecin à l'étage inférieur. Cependant, en dépit de l'âge avancé de Laurelin, ses réflexes n'étaient pas usés et elle se plaça rapidement devant la porte, empêchant Cleena de sortir de la chambre.

— Laisse-moi sortir ! s'écria Cleena. Je ne vais pas laisser mon père tout seul face à ces êtres impolis ! Qu'est-ce qu'ils font ici ?

Laurelin s'empressa de mettre sa main sur la bouche de la jeune fille pour atténuer ses cris afin d'éviter que les rebelles au rez-de-chaussée ne l'entendent.

— Ne parle pas si fort ! la gronda la femme. Ils sont là pour toi. S'ils arrivent à te mettre la main dessus, tout sera fini pour toi, tu mourras le jour de ton anniversaire !

Cleena s'arrêta net de gesticuler. Que venait-elle de dire ? Pourquoi ces hommes seraient-ils ici pour la chercher ? Pourquoi voulaient-ils sa mort ? Laurelin comprit ce qu'il se tramait dans la tête de la jeune fille et répondit à ses questions muettes :

— Tes cheveux blonds et tes yeux bleus sont le symbole de ta royauté, c'est la preuve que tu as du sang royal qui coule dans tes veines. Tu te doutes bien que si Ambros apprend qu'il y a une héritière légitime au trône, et donc une ennemie à son pouvoir, qui est en vie, il fera tout pour l'éliminer. À présent qu'il est certain qu'un membre de la famille royale a survécu, tu seras pourchassée jusqu'à la fin de tes jours si tu gardes cette apparence. Ambros arrêtera sa chasse seulement lorsqu'il sera sûr qu'il n'y a plus aucun risque autour de sa couronne.

Ce que disait Laurelin avait du sens. Cependant, Cleena n'avait toujours pas accepté le fait qu'elle était réellement la descendante du couple royal. Mais à présent, avec les derniers événements, elle ne pouvait plus douter de la véracité des propos de son père. Mais si elle était l'héritière au trône, cela impliquait énormément de responsabilités et de dangers. Les hommes en bas en étaient un aperçu. Cleena se sentait complètement déboussolée et dépassée. Elle ne savait plus que faire de ces informations.

— Laisse-moi écouter à la porte, demanda la jeune fille à l'intention de Laurelin qui se retira alors pour lui céder la place.

Cleena colla son oreille à la porte pour tenter d'entendre ce qu'il se tramait au rez-de-chaussée. Laurelin l'imita, peu sereine à l'idée d'avoir laissé Gilestel seul face à ces brutes. Elle savait de quoi ils étaient capables. Elle se souvenait comme si c'était hier des massacres que l'armée d'Ambros avait causé dans son village. Elle se rappelait ce qu'était l'enfer dans les moindres détails. Elle ne voulait revivre ça pour rien au monde. Il fallait qu'elle trouve une solution et elle supplia intérieurement son vieil ami d'employer les mots justes pour que les rebelles s'en aillent sans faire d'histoire. Mais elle n'était pas dupe, elle savait que c'était impossible qu'ils repartent les mains vides, sans la fille, et surtout, sans avoir tué quelques habitants du monde souterrain. 

Les mains de la femme commencèrent à trembler. Même après seize ans, elle faisait toujours des cauchemars au sujet de ces hommes décapités dont le sang tachait les pavés de son village, de ces cris qui lui avaient transpercé l'âme et de toutes les violences auxquelles avait pu recourir l'armée d'Ambros sur ces pauvres citoyens qu'elle connaissait tous depuis plusieurs années déjà. Ce traumatisme était encore frais dans sa mémoire et elle ne s'en était toujours pas remise. Laurelin n'était pas apte à faire face à un nouvel excès de violence.