Chapitre 2

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Quatre mois plus tôt

Notre vie se déroulait simplement, normalement. Ma mère, avec qui je vivais, venait de rentrer d'une opération extérieure militaire d'un mois en Kuscary. J'étais heureuse de retrouver enfin ses bons petits plats et d'avoir de nouveau sa présence dans notre appartement. J'avais bien sûr apprécié ma liberté, mais j'étais aussi ravie de ne plus être seule devant mon plateau-repas le soir.

Ma seule préoccupation à ce moment était de réussir mes examens de fin d'année. Je partageais donc mon temps entre la faculté, les révisions, les sorties avec ma bande d'amis et mes visites dominicales chez mon père. Plus intéressée par les projets de l'été à venir que par la majorité de mes cours, il me fallait pourtant obtenir mon diplôme.

Un soir, alors que ma mère préparait le dîner et que je lui racontais ma journée assise sur le plan de travail, un flash info avait retenti à la télé. Comme il n'était pas encore l'heure du bulletin journalier, nous avions immédiatement arrêté ce que nous faisions pour nous rapprocher du poste et écouter.

Le visage du présentateur habituel laissa place à celui de notre Président, l'air grave, qui s'exprimait depuis un bureau qui m'était étranger. Un virus, nous apprit-il, jusqu'alors inconnu des scientifiques, s'était développé dans un pays frontalier du nôtre. Il avait envahi rapidement en quelques jours d'autres régions, et invariablement d'autres pays. D'une violence extrême, créant une hémorragie interne fulgurante, il s'était étendu avec une rapidité incontrôlable. Toutes les nations proches s'étaient alors retrouvées en huis clos dans le plus grand secret pour imaginer un moyen collectif de préserver leurs peuples et sauver le maximum de vies. Il nous avait assuré à ce moment que nous ne craignions rien, sous le prétexte que certains de nos vaccins inoculés enfants nous protégeaient.

Malheureusement, c'était faux. Le virus avait été plus fort et plus rapide que n'importe quel scientifique, vaccin ou homme politique. C'était la raison pour laquelle nous vivions maintenant reclus. Nous étions les survivants de notre ville.

D'après le général Lyra, nous n'étions plus que 5 500, sur la base, parmi les 139 000 habitants que comptait initialement Breiast, déserte à présent. Ma mère et moi faisions partie de ceux qui avaient eu la chance de rejoindre à temps l'enceinte de la base. Nous avions dû tout quitter dans l'urgence, en quelques heures, et venir nous réfugier ici. Dire adieu à notre vie d'avant.

Quitter le cocon familial pour la vie en communauté n'avait pas été des plus aisé pour moi. Fille unique, plutôt indépendante, il m'avait fallu apprendre à partager ma chambre et mes affaires avec d'autres : à vivre ensemble, constamment, les uns sur les autres. Le manque d'intimité avait été particulièrement difficile au départ, étouffant même.

Au premier abord, j'avais détesté notre bâtiment. Cet endroit aseptisé me faisait penser à une chambre d'hôpital, bien plus froide que ma jolie chambre familiale. Le carrelage avait remplacé la moquette moelleuse dans laquelle mes pieds s'enfonçaient, les néons, les jolies lampes et la lumière tamisée, la peinture blanche, les murs chaleureux en bois foncé.

Maintenant, avec du recul, je réalisais que c'était le plus simple et le plus facile des changements que nous avions eu à faire parmi tous ceux qui avaient ensuite suivi.

Échanger mes livres de cours et ma vie légère contre des fusils d'assaut et des lancers de grenades avait pris un peu plus de temps...

À présent debout à côté de mon lit, les paupières encore lourdes, j'attrapai mon uniforme jeté en boule par terre la veille. Je me dirigeai ensuite dans la petite salle de bains et ouvris le robinet de la douche. Le temps qu'elle se réchauffe, mon esprit encore embrumé divaguait sur ce jour où tout a basculé. Il me semblait que c'était hier.

Seulement quelques jours après l'apparition du virus, alors que le gouvernement nous avait indiqué à la télé que tout était sous contrôle, que le Président lui-même avait confirmé lors d'une allocution que tout allait bien, nous nous étions réveillés sans plus d'accès Internet, réseau téléphonique, télé. Coupés du monde.

Un message avait résonné en boucle dans toute la ville aux aurores, précédé d'une alarme stridente angoissante. En nous enjoignait à prendre nos affaires et à nous rendre sur la base militaire le plus vite possible. Sans plus d'informations, sans savoir ce qu'il se passait, nous avions dû tout quitter en quelques minutes.

« Alerte à la population. Prenez vos pièces d'identité, les denrées alimentaires ainsi que les médicaments et produits de soins et d'hygiène que vous possédez. Rendez-vous sur la base navale immédiatement. Chaque citoyen a le droit d'emporter un bagage d'affaires personnelles. Ne prenez que le strict minimum, il sera contrôlé à l'entrée. Présentez-vous avant midi aux portes de la base. Une fois passé ce délai, plus personne, sous aucun prétexte, ne sera autorisé à pénétrer dans l'enceinte. »

Il faisait gris ce jour-là, le ciel était bas, les bruits étouffés. On ne voyait même pas la mer ni la base navale, pourtant situées à quelques centaines de mètres de notre appartement. La météo semblait refléter l'ambiance morne et atténuer les sons des haut-parleurs. Nous avions dû écouter au moins deux à trois fois le message, immobilisant instantanément tous nos gestes, avant de comprendre l'injonction qui nous avait été donnée.

Ma mère, très pragmatique, n'avait pas cédé à la panique tandis que j'avais été paralysée par la peur. Et, en dépit de l'inquiétude que je voyais dans son regard, elle avait réagi avec maîtrise face à l'urgence de la situation. Certainement aidée par sa longue carrière militaire, elle était rodée aux situations de crise et m'avait donné des ordres clairs et précis pour organiser rapidement notre exode. Lorsque j'y repense, je me dis que c'est grâce à la proximité de notre appartement et à son efficacité redoutable que nous avions pu franchir les portes à temps. Tandis que mon père, situé de l'autre côté de la ville, n'y était jamais parvenu.

Ma douche terminée, je m'extirpai de ces souvenirs le temps d'attacher mes longs cheveux en une queue-de-cheval serrée. Un peu de crème hydratante sur les mains, je me barbouillai rapidement le visage, heureuse de constater que le coquard dont j'avais hérité la semaine dernière avait presque disparu. Il était à présent jaune et, sous mes yeux marron, me donnait l'air malade. Après le noir, le bleu, et le rouge, demain ce serait terminé, et mes jolies taches de rousseur réapparaîtraient comme par magie.

Je repartis discrètement dans la chambre pour finir rapidement de m'équiper. La ponctualité était primordiale sur la base, quelle que soit l'activité. C'était l'un de mes challenges quotidiens, moi qui pensais toujours avoir le temps. Pour les entraînements surtout, mieux valait être à l'heure et éviter les punitions sadiques en tout genre. Je me dirigeai vers mon lit, enfilai mes chaussures avant de partir, et tournai la tête vers ma table de chevet pour y attraper ma montre. Suspendant mon geste, je contemplai l'un des trésors qui me restaient de mon père, de notre ancienne vie.

Il m'avait offert une petite veilleuse en forme de nuage lorsque j'étais enfant. C'était un objet simple, inutile même, mais plus les souvenirs de cette existence s'éloignaient de nous, plus cette veilleuse me rappelait qu'il fallait continuer d'espérer et ne pas abandonner. Cette relique de notre vie passée était devenue mon bien le plus précieux. Il fallait coûte que coûte continuer de chercher la lumière parmi les nuages, ne pas baisser les bras. N'ayant plus eu aucune nouvelle de lui depuis notre exode, je continuais d'espérer de tout cœur qu'il avait trouvé un abri et de quoi subvenir à ses besoins jusqu'à présent. Il était débrouillard et j'avais confiance en sa réussite. Il devait réussir. Aucune alternative n'était possible.

Les larmes me montaient aux yeux, mais je ravalais un sanglot, la gorge pourtant serrée. Je ne pouvais pas décemment me plaindre alors qu'en dépit des épreuves, j'étais en vie. J'avais ma mère et j'avais Julia. C'était déjà beaucoup plus que pour la plupart des survivants. La majorité d'entre eux étaient arrivés seuls sur la base une fois les examens médicaux passés, sans plus aucune famille. Ce petit souvenir m'aidait simplement à me le remémorer. À ne pas abandonner dans la perspective de m'échapper d'ici pour partir à sa recherche et à m'entraîner chaque jour plus fort, plus intensément pour la mission à venir.

Résilience (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant