Tulipe

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Tous les soirs depuis l'agression, son visage revient me hanter. La scène se répète encore et encore, même si ce n'est jamais dans le même ordre, ni le même lieu. Toutes les nuits, le sang de Ben, le stagiaire qui m'a accompagné jusqu'à l'appartement de Lenny et Eireann, se retrouve sur mes vêtements et ma peau.

Cinq minutes, c'est le temps qu'il a mis à me rejoindre, peut-être moins, toutefois le piège était refermé sur nous. Le temps qu'il se gare, je suis rentrée la première à l'appartement. Maxime s'est proposé de m'accompagner, puis un contretemps est arrivé, le stagiaire s'est proposé de m'accompagner, tout heureux de pouvoir m'aider. L'heure tournait, je n'avais plus le choix.

Je ne l'ai pas senti venir derrière moi, tout comme, il n'a pas vu Ben arriver. Mon cerveau tournait à cent à l'heure, prendre les vêtements posés sur la table, leur apporter deux, trois affaires de toilettes et des sous-vêtements propres. Je pensais que c'était Ben derrière moi, et je m'entends encore lui dire, "drôle manière d'apprendre le stylisme, n'est-ce pas ?"

Une douleur me parvient à la tête et je perds instinctivement mon équilibre et tombe au sol. Je vois des couleurs qui n'existent même pas. Si intenses, si brillantes. Le bruit autour de moi est la même sensation que d'être immergé sous l'eau on entend des sons, des bribes de mots, le reste c'est un son sourd qui envahit tout. 

Mon cerveau est en alerte, je sais immédiatement que c'est grave ce qui se passe et que si je veux survivre va falloir que je relève, crie et partir le plus loin possible. L'homme qui terrorise l'Amérique ces derniers temps est à mes côtés. Ben arrive, je lui dis de partir, mais son instinct lui dit de me défendre.

Une nouvelle fois, je me réveille en panique totalement perdue en pleine nuit dans mon ancienne chambre. Celle que j'occupais avec Charlie quand les Rousseaux nous ont recueillies. La même qui a abrité Lena sa première année. Rien n'a changé, ou presque. Trois heures cinquante-six, je sais que ma nuit est finie, je n'arriverai plus à me rendormir.

Penser à Lena qui est à quasiment six mille kilomètres de moi, est ce que je fais le mieux dans ces moments-là. Elle me manque tellement. Son père, Lenny, avec qui j'étais en couple à mes dix-huit ans, a voulu la garder avec elle, voulant assumer son rôle à cent pour cent après son agression. J'ai eu du mal à accepter, je l'avoue. Je voulais égoïstement ma fille près de moi, pensant la savoir plus en sécurité, alors, qu'en vrai sans Lenny, je serais déjà six pieds sous terre. Son père sera plus apte à la protéger que moi et surtout en attendant de retrouver un endroit où loger, puisque remettre les pieds dans leur appartement est envisageable et tout à fait normal, Eireann et lui vivent à la maison. Luciole, ne sera pas chamboulée en gardant sa chambre et voyant régulièrement mes hommes qui sont aussi ses pères de cœur.

Avant mon départ, Alexander, Ekemona, Christopher et moi avons eu une discussion au sujet du break. Nous n'avons aucun compte à rendre aux autres, si nous désirions aller voir ailleurs, nous n'avons pas à le dire, mais la protection est de rigueur. Une sorte de "Rumspringa", comme le dit Christopher. Une période durant laquelle les adolescents amish sont temporairement partiellement déliés de leur église et de ses règles afin de découvrir le monde moderne. Tant que nous ne nous mettons pas en danger, respectons les règles de sécurité et de protection, nous avons le feu vert. Je dois dire que j'ai été surprise au début, puis, me suis douté que mon départ était peut-être la cause. La peur que je puisse voir ailleurs après la conversation dans la douche que j'ai eu avec Chris a pu les effrayer. Ils préfèrent que tout soit transparent entre nous et surtout sans regret, ni mélodrame. 

Prendre mes petits dans mes bras et vivre à leur rythme est ce que je fais depuis mon arrivée. Ils dictent ma vie depuis que je n'ai plus une grande maison, une petite fille de cinq ans et des hommes à gérer. Toutefois, je me sens vide de l'intérieur, fade. Sortir est devenu un supplice, je m'y soumets seulement pour les courses avec Constance ou pour étendre le linge dehors. Je n'ai plus d'envie et ça m'effraie. Ça me fait culpabiliser car je vois l'inquiétude dans les yeux de mes parents. Parfois, des pensées noires m'envahissent, celle de leur laisser les jumeaux et fuir le plus loin possible et de me terrer jusqu'à la fin de ma vie avec personne autour de moi. Juste m'éteindre. Je ne suis pas suicidaire, juste des pensées noires quand je constate que je n'arrive pas à remonter la pente ni même me projeter dans l'avenir. Si au moins je pouvais faire taire les cris et les images violentes dans mon esprit. Ce sang… cette peur… 

Sombre TulipeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant