Sombre Tulipe

Joy Potter

La nuit a été aussi agitée qu'une salle de bal pendant une tempête, mais par un miracle inexplicable et peut-être un peu de chance aucune tornade ne nous a touchés. En fait, face à la Bentley, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel, comme si je venais de recevoir un prix pour le meilleur rôle dans une comédie dramatique. Notre vie a été miraculeusement sauvée par cette voiture qui vaut plus cher qu'un petit appartement dans le quartier branché de la ville. Bon, il est temps d'annoncer la nouvelle à Christopher, mais... comment lui faire passer la pilule sans qu'il n'ait une crise de nerfs digne d'un acteur de soap opera ?

- Le plus simple, c'est de lui envoyer une photo, Joy ! suggère ma sœur, d'un ton qui rappelle celui d'un stratège militaire.

- Tu crois qu'il va nous tuer ? Je frémis à l'idée de ce qu'il pourrait faire si jamais il voyait ça.

- Écoute, si tu lui expliques bien que c'est Dame Nature qui a décidé de nous faire une petite démonstration de force et que je n'étais pas au volant ça devrait passer comme une lettre à la poste. Étant donné qu'on a frôlé la catastrophe, il comprendra sûrement. dit-elle en croisant les doigts.

- Pourquoi faut-il toujours qu'il y ait un pépin quand je suis là ? Je soupire exaspérée.

- Tu es vraiment le paratonnerre de ma vie, Joy. À ce rythme, je devrais te faire un bracelet avec un éclair dessus et t'appeler Joy Potter.

Je réprime un sourire en observant ma sœur, dont l'expression oscille entre inquiétude et amusement. Une fois la photo prise, je me dis que je ne peux pas lui envoyer ça sans d'abord prendre de ses nouvelles. Il a l'air de bonne humeur aujourd'hui, et je suis celle qui va ternir son tableau. Briseuse d'ambiance, c'est moi !

Je compose un message pour rentrer dans le but du sujet sans être trop dans le dramatique ni tourner autour du pot: "J'ai un souci... enfin, nous avons un souci. Je ne sais pas comment te le dire."

"Vous allez bien, toutes les trois ?" Sa réponse arrive presque trop vite, comme s'il était sur le qui-vive.

"Oui, nous allons bien, mais la Bentley..."

Après cette phrase, je me lance, envoyant la photo accompagnée d'une explication sur notre mésaventure avec un orage supercellulaire. Pendant de longues secondes, le silence s'installe, et avec Charlie, nous guettons le téléphone, anxieuses. Finalement, il appelle. Oh là là, c'est le moment de vérité !

- Vous êtes sûres que vous allez bien ?

Je peux presque entendre l'inquiétude dans sa voix, comme un chat qui a entendu un bruit étrange dans la nuit.

- Oui, ça va. Je suis vraiment désolée, Chris.

- On se fiche de la voiture ! Regarde dans quel état elle est, c'est un miracle que vous n'ayez rien ! Laisse la voiture là, mon assurance s'en chargera. Prenez le train pour rentrer, ce sera plus simple.

À ce moment-là, je réalise qu'il est déjà en mode super-héros, prêt à gérer la crise tout en gardant son sang-froid. C'est presque touchant. Une vraie réaction de James Bond. Je devrais peut-être lui demander qu'il demande à Q de nous concocter un véhicule tout terrain et à l'épreuve des jumelles Lerequin pour nos prochaines aventures.

*** *** ***

Lorsque nous sortons du train, la surprise est immense de tomber sur Alexander sur le quai. D'un regard, je scrute ma sœur, qui semble aussi étonnée que moi. Je serre Rose contre moi tout en portant nos valises, et je m'avance vers l'homme métissé qui s'approche d'un pas rapide. Son regard attentif trahit un soulagement : Christophe a probablement informé Alexander de notre retour précipité. Il ne me reste que quelques heures avant de filer à l'aéroport, et j'ai une hâte folle de quitter ce pays qui ne me convient plus. Cette parenthèse censée me permettre de m'évader et de retrouver ma sœur a été brusquement interrompue. Même si nous avons partagé des moments, ce n'était pas du tout ce que j'avais imaginé.