Démons 1 - Namjoon 0

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"Je courais. Sans raison précise, tout en pensant à mille choses à la fois. Rien ne changeait vraiment à l'intérieur de moi. Seulement, à force de courir, j'arrivais à un point où je ne pensais plus à rien. Je me contentais de respirer. Le souffle, c'était tout ce qui me restait."

Murakami, Haruki. La Course au mouton sauvage.

ᚱᚹᚢᛇ

Samedi 21 juin 2025

"Inspire, expire, inspire..."

Chaque souffle était une lutte contre l'étouffement, un effort désespéré pour me libérer de mes démons. Mes poumons, aspirant l'air avec avidité, brûlaient mais bien moins que les images qui me hantaient.

"Inspire, expire, inspire..."

Le claquement de mes baskets sur les pavés résonnait comme un battement de tambour, rythmant ma fuite effrénée. Chaque impact au sol était une échappatoire, une évasion temporaire de la réalité que je refusais d'affronter. Mes pieds en feu, la tension dans chacun de mes muscles, mes baskets aux semelles prématurément usées semblaient crier, réclamer un répit. Mais je les ignorais, déterminé à fuir à tout prix.

Les pensées tourbillonnaient dans mon esprit, s'enchevêtrant avec les battements de mon cœur. Les flashs de souvenirs douloureux me saisissaient, des voix résonnaient, murmurant des vérités que je préférais taire. Je serrais les dents, essayant de réprimer les échos incessants, cherchant à les noyer dans le silence de ma course.

Mon corps était épuisé, mais mon esprit était en surchauffe. Chaque foulée me rappelait que je ne pouvais pas m'échapper. Des gouttes de sueur dévalaient le long de mon front, mélangeant leur amertume à celle des souvenirs et des nouveaux besoins que je tentais de repousser.

« Inspire, expire, inspire... »

Je murmurais ces mots, m'accrochant à cette incantation comme à une bouée de sauvetage. Mais même au milieu de cette fuite éperdue, des doutes s'insinuaient. Des pensées furtives tentaient de s'infiltrer dans les interstices de ma conscience, les fissures de ma volonté. Je les chassai farouchement, m'accrochant à ce besoin vital de ne pas m'arrêter.

"Inspire, expire, inspire..."

Les mots se transformaient en mantra, telle une lueur d'espoir fragile dans mon esprit tourmenté. Mes poumons brûlaient, mais je refusais de m'arrêter. Car si je m'arrêtais, les images reviendraient, les pensées me rattraperaient, et je serais à nouveau pris au piège de ce que je cherchais désespérément à éviter.

Alors je continuai à courir, me cramponnant à mon dernier souffle de résistance.

Les mains agrippées au garde-fou du Hangang Bridge, le dos courbé ployant et se déployant au rythme de mon souffle erratique, je tentai de reprendre pied. Chaque inspiration était un combat contre le passé qui m'échappait, chaque expiration un lâcher-prise douloureux.

La sonnerie répétée de mon téléphone me sortit brutalement de ma transe. Je dégainai l'objet neuf qui ne contenait rien de ma vie d'avant. L'écran illumina brièvement mon visage luisant de sueur et de frustration.

— Putain ! soufflai-je en plongeant mon visage dans la paume de ma main libre.

Dans l'obscurité fragile du creux de ma main, derrière mes paupières closes, je cherchai le répit, le calme nécessaire, la raison car je voulais que personne ne s'aperçoive que j'avais perdu tout contrôle sur moi-même.

— Nam ! Enfin ! J'ai une bonne nouvelle ! s'écria la voix enjouée de mon ami.

— Hmmmm... ne parvins-je qu'à marmonner, la voix étouffée par la fatigue et la confusion qui m'habitait.

— Écoute, ils ont réussi à récupérer la plupart des fichiers de ton téléphone ! C'est pas génial ? insista Hoseok, plein d'enthousiasme. C'est incroyable, non, vu son état après l'accident ?

Je pensai, un bref instant, que j'aurais préféré retrouver la mémoire, mon sommeil et une vie moins foutraque. Est-ce que des dizaines de photos d'oeuvres d'art en tout genre, de chats et autres adorables créatures, ainsi que des soirées dont je n'avais aucun souvenir pouvaient compenser ce purgatoire dans lequel j'avais basculé ?

«Inspire, expire, inspire...»

— Merci, réussis-je tout de même à dire avec toute la sincérité possible.

— Tu vois, tout s'arrange ! Tu courais ? On se retrouve chez toi. Je te donne tout ça et on en profite pour se prendre un verre, me proposa-t-il sans me laisser le temps d'exprimer mon accord.

Je laissai tomber mon bras le long de mon flanc, encore meurtri quinze jours après l'accident. Je m'en voulus de penser que j'allais tout faire pour que mon meilleur ami et manager parte le plus vite possible, pour qu'il me laisse seul et ne voit pas ma déchéance.

La seule chose qui ne changeait pas, c'était ce sentiment de sérénité troublée flottant dans l'air lorsque je passais le seuil de chez moi. Une fois la porte refermée, je me laissai couler le long du panneau, je défis mes lacets nerveusement avant de lancer mes chaussures plus loin dans l'entrée.

La blessure à peine cicatrisée le long de mon tibia me ramena péniblement quinze jours en arrière.

Le bruit de tôle froissée, la douleur fulgurante, les cris des passants et puis plus rien !

Les médecins m'avaient dit, et me le répétaient encore, que j'avais eu de la chance de si bien m'en sortir vu l'état du véhicule après le carambolage. Le conducteur qui avait grillé le feu rouge n'avait qu'une légère commotion. J'étais toujours en vie, je n'avais que peu de séquelles physiques, les douleurs dans mon épaule disparaîtraient rapidement avec les séances de kiné, et, surtout, il n'y avait aucune raison pour que je ne recouvre pas la mémoire petit à petit. Mon amnésie était peu inquiétante, aux yeux des spécialistes. Et il y avait tant de personnes disant, pour me rassurer ou être gentilles, qu'elles pouvaient me raconter en détails ce que j'avais fait durant ce mois de mai 2025 aux US que ma mémoire avait effacé. Du moins, c'est ce que ces personnes se figuraient ! Que savaient-elles de moi, au juste ?

Alors de quoi je me plaignais ? Il fallait que je laisse le temps au temps, que je cesse de me torturer... Et puis, tout comme mes millions étaient toujours sur mon compte en banque, mes fans et ma musique ne s'étaient pas évaporés.

— Conneries ! je rageai en cognant l'arrière de ma tête sur le bois de la porte.

Je n'avais dit à personne que, depuis ma sortie de l'hôpital, j'enchaînais les cauchemars, que je m'abrutissais d'alcool, d'efforts physiques, et d'autres choses inavouables. On était déjà le premier jour de l'été et je n'en pouvais plus de ces rendez-vous chez le neurologue, le psy, le kiné où on me disait de ne pas trop paniquer, qu'il n'y avait aucune raison que je ne recouvre pas la mémoire, que cela reviendrait petit à petit ! J'avais le sentiment de ne pas être compris alors que je vivais probablement un des moments les plus effrayants de ma vie. Alors, il me semblait que si je racontais le reste, on me regarderait avec incompréhension, jugé sévèrement, sans m'apporter aucun secours. De toute façon, la honte me retenait de tenter quoique ce soit.

Troublé par mes propres pensées, je ne remarquai pas immédiatement la paire de chaussures abandonnées dans mon vestibule. Elles n'étaient pas à moi.

«Jungkook ? Oh, merde ! Il faut vraiment que je lui parle... ça ne peut plus durer...»

«Inspire, expire, inspire...»

Unveil meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant