Nausée

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ᚱᚹᚢᛇ

Vendredi 27 juin 2025

Je me fourvoyais encore en pensant être capable de m'en sortir seul. J'avais refusé l'hospitalisation et son UROD, une cure de désintoxication ultra rapide. Pas parce que j'avais une très haute opinion de moi-même, non... C'est juste que... C'est juste que l'idée de devoir justifier une disparition de près de 48h auprès de Hobi me fatiguait d'avance. Pour tout dire, j'avais honte aussi. J'avais donc opté pour la solution la plus clandestine ; celle du sevrage à domicile sans surveillance continue.

Je me disais que j'aurais dû rester chez moi, à l'abri des regards. Mais chez moi, il y avait mille tentations. Pris entre le marteau et l'enclume, la soirée semblait l'option la plus acceptable. La première depuis mon retour en Corée. De quoi donner du change à Kyung-min et lui prouver que je n'étais pas devenu un ermite. Et, second bénéfice, l'agence serait ravie que je reprenne à minima mes activités.

Assis à l'arrière de la voiture qui me conduisait à l'événement, j'avais un disque en fonte de 20 kg sur la poitrine.

Ma tête contre la vitre, je regardais d'un œil vide la ville noyée sous des trombes d'eau, les parapluies aux jambes pressées, les lumières qui se reflétaient dans les flaques.

Ma main droite jouait avec mon portable flambant neuf et vide de toute vie, aucune nouvelle photo, aucun rendez-vous. Je repensais aux dossiers contenus sur la clef USB. Je les avais ouverts ce matin encore, brièvement. Des photos et quelques vidéos de LA. Des images d'une expo avait retenu mon attention un moment. Pas que je m'en souvenais. Non. Ça m'épatait juste. J'adorais l'artiste. J'avais envie de me rendre à son expo depuis des mois. Visiblement, je l'avais rencontré ! Quelqu'un avait pris mon téléphone et nous avait filmés au restau en pleine conversation. Après le court et agréable ébahissement, c'est la consternation qui m'envahit. Ce type-là, que je voyais sur la vidéo, ce ne pouvait pas être moi ! Il souriait, il était heureux et détendu. Min Yoongi avait un bras autour de ses épaules et était penché sur lui pour répondre à l'artiste ! Ce type qui me ressemblait serrait la cuisse de Yoongi d'une main et lui souriait. J'avais le sentiment qu'on avait volé mon apparence et ma voix. Mais ce type m'imitait mal ! Jamais je ne me laissais aller à une attitude aussi ambigüe en public. Jamais ! Pas même aux Etats-Unis. Jungkook ne m'aurait pas laissé faire. Hobi m'en aurait dissuadé. De rage, j'avais refermé violemment mon portable avant de me donner une apparence humaine pour la soirée caritative.

Ma jambe droite tressautait. Mon épaule me faisait souffrir, mais bien moins que mon estomac. Je sentais la sueur se former sur mes tempes et mon front. Je tirai nerveusement sur mon col roulé.

Je sentis la voiture ralentir avant d'apercevoir la double rangée d'appareils photos crépitant et le ballet de voitures me précédant.

Les années de formatage déclenchèrent mon pilote automatique. Mes épaules se redressèrent, mes mains lissèrent mon veston, mes muscles faciaux se mirent en branle.

Quand la portière de mon véhicule s'ouvrit, Kim Namjoon, "l'enfant de la nation", le musicien adulé, était prêt. Le plop du parapluie qui s'ouvrit fut en parfaite synchronisation avec le "clac" de mon talon sur le pavé. Le naturel travaillé de mes sourires et de mes pauses ravirent les photographes qui me retinrent plus longtemps que mon estomac ne pouvait le souffrir. Maintenant, quand j'aperçois les photos de ce gala, je ne vois qu'une idole rutilante sans aucune trace de lutte ou de douleur sur le visage. Je reste interloqué par la capacité prodigieuse de mon corps à masquer les plus terribles des vérités.

La torture se poursuivit à l'intérieur. Prendre la pause, encore, rendre les sourires et les politesses, assister aux représentations et faire mine de s'amuser.

Unveil meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant