Jour J

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"Ça va ?"

J'ai toujours détesté cette phrase, et pourtant je me rappelle l'avoir dit moi aussi à des moments où la réponse était claire. Mais je pense que cette phrase, on l'a dit d'une manière tellement banale qu'au fond on s'en fout un peu de la réponse.

Aujourd'hui le médecin, en arrivant dans la salle m'a posé cette fameuse question.

Monsieur, bien sûr que non ça ne va pas. Si je suis ici, en hôpital psychiatrique, je pense que la question ne se pose même pas.

C'est ce que j'aurais aimé dire, mais j'ai juste haussé les épaules.

Avant de passer la porte de l'endroit qui deviendrait ma maison pendant un temps indéterminé, j'étais vide, neutre, mais légèrement heureuse parce que je savais que, avec le temps j'irais sur la voie de la guérison.

Mais, à peine entré je me suis senti comme piégé, étouffé. J'avais peur. Je me sentais tout d'un coup trop normal pour être ici. Qu'au final ma mère avait raison, les hôpitaux psychiatriques, c'est pour les fous et que moi. Je n'avais rien à faire là.

Les préjugés, toujours. Pourtant, je devrais avoir l'habitude, je suis un cliché ambulant avec mes cheveux bleus, mes tatouages, mes piercings et mon look tiraillant entre le grunge et le gothique.

Et là, c'est moi qui jugeais. Alors que les autres patients, eux ne me jugez pas.

Avant d'arriver dans mon unité, il fallait traverser tout un parcours. Parcours qui était tellement grand et complexe que mon infirmière référente s'est perdue. A ce moment là j'étais totalement ailleurs, j'observais les bâtiments. Vieux et flippant, ou neuf et froid. Sur la route, j'ai dit à mon infirmière que cet endroit immense (dont on ignore la taille avant d'y rentrer) me faisait penser à une petite ville. Les gens, ou devrais-je dire les patients s'y promènent librement.

Ou presque.

Puisque le terrain est bien délimité par un long et grand grillage blanc. C'est drôle de se dire que certains dont moi, on fait le choix d'aller ici. Alors que ça ressemble beaucoup à une prison. Une gentille prison ou les policiers porterait des blouses blanche et serait là pour vous aider à n'importe quel moment. Dans cette "mini-ville", c'est comme ça que je l'appelle maintenant. Il y a une laverie, j'ai cru voir un arrêt de bus, il y a aussi une sorte de cafétéria/lunch ou on peut aller boire un café. Et il y aussi une église, avec des messes tous les dimanches. Et ça, par contre ça m'a fait flipper.

A peine arrivés on m'a montré ma chambre et fait l'inventaire de ma valise, ils sont beaucoup moins stricts ici. Ils ont juste gardé mon taille crayon, mes ciseaux, et mon matériel de crochet. Pour me protéger et protéger les autres. Je comprends, tant que j'ai le droit de garder crapy mon doudou grenouille, c'est bon pour moi.

Une fois seule (même si on ne l'est jamais vraiment), j'ai eu une folle envie de dessiner. Ça ne m'était pas arrivé depuis très longtemps. J'ai produit, produit, et produit jusqu'à ce qu'une infirmière toque à ma porte pour m'emmener à mon rendez-vous avec des psychiatres. 

Et s'était reparti, il fallait encore tout réexpliquer. Mais je me suis sentie bien, calme, posée. J'ai confiance au personnel soignant et je sens que cette fois, c'est la bonne. Je peux me reposer et aller mieux ici.

C'est en rentrant dans ma chambre après ce rendez-vous que j'ai eu ma première expérience sociale avec d'autres patients. Une gamine, tout juste entré dans l'âge adulte qui roulait de grosses pelles à son mec. Et je me suis demandé dans quoi j'étais tombé. Puis finalement, j'ai vite compris que c'était encore une enfant malgré qu'elle soit majeure. Sans gêne et mal polies, mais pas méchantes.

Puis à 18h, ATTENTION c'était la guerre. L'heure des médicaments avait sonné, une file de gens s'était créée devant la pharmacie. Chacun voulait sa dose, et pas question de doubler qui que ce soit ! En attendant j'ai pu observer les gens, personne n'est méchant ici, juste un peu dérangé. Mais qui ne l'est pas finalement ? Il y avait des personnes âgées, ceux la on aurait cru des zombies. Des personnes d'une cinquantaine d'années, eux c'est rigolo, mais il était comme hyper actif, ils ont mis la table pour tout le monde et faisait l'autorité dans la file pour les médicaments. Certain de tout âge qui restait calme à attendre. Puis il y avait des plus jeunes que moi, dont un qui parlait tout seul. Mickael je crois, j'ai mangé à sa table ce soir là, il ne parle pas quand il est avec des gens, mais il est très gentil.

Et lors de ce dîner, j'ai mangé avec Sophie, la quarantaine. Coiffeuse et fan d'Orelsan. Quand elle a appris que je venais de Normandie et que j'avais été coiffeuse, j'étais devenue sa sœur. En parlant de Normandie est venu le sujet de la Bretagne, et un jeune de la table d'à côté rigolait avec moi au sujet de cette fameuse guéguerre entre les normands et les bretons. Le repas s'est très bien passé, et j'avais le sentiment que tout était normal. Juste comme si j'étais à la cantine avec des gens. C'est une des choses que j'apprécie à l'hôpital psychiatrique, personne ne te juge et on se crée notre bulle à nous.

A 21h, la tisane et les petits gâteaux ou la compote nous attendent. Sinon, c'est la rébellion ! Malheureusement ce soir là, les gâteaux et les compotes étaient absentes. Sophie a dit en rigolant "Déjà qu'ils avaient 10 minutes de retards, le service laisse à désirer !" pour rajouter ensuite "Ici on devient une mamie, on a nos petites habitudes.".

J'ai bu ma tisane et je suis allé me coucher, fatigué de cette journée qui a été difficile. Dans mon lit, je pensais à tout, mais aussi à rien. Heureuse d'avoir pris mon courage à deux mains pour venir ici, heureuse que mes examens à l'école se passent aussi bien. Mais toujours triste de ne pas trouver de sens à ma vie. Triste d'être seule. Triste parce que toutes les personnes que j'aime et qui me le rendent habite beaucoup trop loin pour que je puisse aller me reposer avec eux.

Mais ici, je vais apprendre à me reposer et vivre avec ma propre compagnie, et ça c'est le plus important je crois.

Le Monstre bleu qui mange les âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant