Comment aimer Foster

Moscou

- Que me vaut de voir cette adorable face en ce moment de panique? Ne me dis pas ce que je sais déjà...

- Biana... - Keefe se mordit la langue. Il devait réfléchir à la meilleure façon de ne pas la brusquer; elle était tout aussi tendue, fatiguée que lui par les heures d'incertitudes dans lesquelles les adultes l'avaient forcée. - J'ai un service à te demander.

Biana poussa un long soupir, marqua une pause. Elle réfléchissait. 

- Bien. Fais ta requête.

Le jeune homme se redressa de quelques centimètres, et son regard de moitié perdu dans un second monde empli de ses pensées les plus compliquées, absurdes, il s'expliqua.

- Je te demande de me couvrir. Je m'apprête à aller chercher Sophie... Et Fitz. Ro ne me laissera pas partir sans elle, alors je ne peux pas lui demander d'inventer un prétexte... Dis-leur ce que tu veux, que je suis malade, coincé sur le trône avec un mal de ventre fulgurant, ou que je suis allé cueillir des fleurs. Ok, celle-là n'est pas crédible comme excuse.

Biana était tirée entre sa fierté blessée par les incessants gestes indélicats du jeune Sencen envers elle et son frère, son inquiétude qu'elle ne pouvait mesurer et le sens du devoir que son amitié si longue avec Keefe l'obligeait à l'aider. Ce dernier le sentait. Non pas par empathie, mais parce que l'évidence en était là.

- D'accord, murmura-t-elle finalement. Marquons ici une trêve entre nos deux égos. Mais reviens vite. Il ne faudrait pas que les adultes se retrouvent à chercher trois personnes au lieu de deux. 

- Je ferai attention. 

Leur conversation s'acheva. Le vent se levait et la brise faisait bouger les plantes autour du jeune homme. Ro, solennelle, ne prononça pas un mot en le voyant faire des allées et venues entre le bâtiment et le bord de mer. Il lui tendit bientôt de quoi se déguiser.

- Oh non, Grassecoiffe, je me sens humiliée quand je me déguise ainsi!

Le costume était celui d'une vieille dame. Le jeune homme avait l'intention de chercher Sophie - et Fitz - chez les humains, car à plusieurs reprises les Invisibles l'avaient séquestrée en des points importants de la société humaine. Keefe comptait se changer dès leur arrivée chez les humains, car  sa beauté rivalisait déjà avec les elfes, et elle semblerait dérangeante pour les Hommes, aussi sa façon de s'habiller jouerait beaucoup sur son allure en la rendant moins singulière.

- Bien, à partir de maintenant, utilisons ma génialissime intuition pour retrouver Foster ! fit Keefe en sortant de sous sa veste un éclaireur détourné subtilisé des semaines plus tôt. Voyons voir... Ro, connais-tu des noms de lieux humains? 

L'ogresse réfléchit un court instant.

- Une fois j'ai entendu parler de "Moscou". Aucune idée de ce que c'est mais il paraît que l'architecture est décente selon les elfes. 

- Je n'ai aucune autre idée à part les anciennes planques des Invisibles, avoua Keefe malgré le manque de conviction qu'il manifestait sans le cacher que lui procuraient les indications de sa garde du corps.

Bon, pensa-t-il, il faut bien commencer quelque part. Une fois là-bas, nous chercherons une carte du monde humain, et déciderons du lieu où nous rendre. Prenant la main de Ro, il prononça haut et fort :

- Moscou!

Un froid glacial remplaça la brise tiède des Rives du Réconfort ; évidemment! le domaine des Sencen se trouvait dans l'hémisphère sud, il n'avait pas pensé au fait que la majorité des destinations humaines se trouvaient au-dessus de l'équateur et étaient plongées dans l'hiver. Il ne le savait pas encore, mais Moscou était en prime l'une des villes les plus connues pour ses basses températures. 

Quelques minutes plus tard et avec l'utilisation de la technique miracle de Keefe, l'elfe et l'ogresse étaient réchauffés, mais juraient toujours avec le décors par leurs tenues trop légères pour la ville aux coupoles d'or. Ils devaient trouver des manteaux et vite.

S'avançant dans les larges rues, ils arrivèrent bientôt sur la rive d'une rivière. A quelques pas encore, ils étaient dans une rue commerçante et Keefe y vit la possibilité de demander des vêtements chauds, par souci de discrétion. Deux crétins en manches courtes, il se répétait, mais c'était la meilleure façon de se faire repérer, et dans le cas où la chance les accompagnait et les Invisibles se trouvaient à Moscou, de se faire attraper. 

Les deux compères entrèrent dans un grand magasin chauffé, où passait une musique désagréable et où les gens faisaient tranquillement le tour des nouvelles collections. Ro eut un regard dédaigneux quand une fillette la fixa intensément. Elle était emmitouflée dans un gros manteau violet et ses cheveux dépassaient d'un chapeau à rabats. Il en fallait un à Keefe. Il arpenta le magasin à la recherche de l'un de ces chapeaux à rabats jusqu'à en dénicher un gris matelassé. Il en prit un second pour Ro, partie admirer des chaussures à pointes, et chercha un manteau qui ne semblait pas être de trop mauvais goût. Les recherches finies, il rejoignit sa garde du corps, que la petite fille dévisageait toujours et déclara :

- Nous avons nos tenues, prends celle-ci, c'est la taille la plus large, et allons nous-en chercher Foster... et l'autre. 

Ro enfila le manteau et enfonça le chapeau à rabats sur sa tête. Elle parut satisfaite et ils  s'avancèrent vers la sortie. Tout allait pour le mieux quand une alarme se mit à sonner stridemment et des voyants rouges clignotèrent de part et d'autre d'eux, juste devant la porte. Ne comprenant pas, Keefe s'arrêta. Une jeune femme en uniforme du magasin arriva à sa hauteur, suivie d'un humain aux proportions de réfrigérateur. Un ogre miniature, en somme.

- Вы должны заплатить! fit-elle avec indignation.

Keefe réalisa que les humains savaient très bien prévenir les vols. Il n'avait aucune idée de ce que cette femme disait, mais il était sûr que cela impliquait une monnaie qu'il ne connaissait pas. Ro pensait la même chose. 

- Grassecoiffe... On court à trois...