Brisés

Chapitre 21

Depuis une semaine, je reste pratiquement dans ma chambre. J'ai prétexté être malade pour ne pas être embêtée. Quand Jaden venait, je faisais toujours en sorte de faire semblant de dormir ou de devoir partir.

J'ai fait beaucoup de recherches sur internet concernant l'agence. En effet, j'ai appris qu'elle est tenue par Jenna et anciennement par mon oncle.
Avant de signer le contrat pour être cliente à Love for rent, il y a une journée d'essai pour savoir si ça nous plaît et qu'on veut s'inscrire.
Je vais donc utiliser cet essai pour aller à un rendez-vous avec mon très cher Adam Smith, alias Jaden. J'ai hâte de voir son expression décomposée quand il me verra.

Je me suis vraiment mise sur mon trente-et-un. Robe rouge passion, plutôt courte et moulante. Je me suis parfumée et ai mis mon rouge à lèvres rouge, sans oublier un peu de noir aux yeux, histoire d'intensifier mon regard. J'ai ajouté deux couches de mascara pour chaque œil, juste pour avoir un peu plus de volume au niveau des cils. Pour finir, j'ai mis mes escarpins noirs et le tour est joué.
J'ai demandé de rencontrer « mon » agent dans une terrasse bucolique.

Les jambes croisées, j'attends patiemment Jaden.
Comme ce n'est qu'un essai, et heureusement pour moi, je n'étais pas obligée de divulguer mon nom.
Jaden a seulement eu connaissance de notre lieu de rendez-vous, et sait que je suis une brune portant une robe rouge.
Je finis par voir Jaden qui arrive. Il regarde aux alentours, afin de me trouver, ce qu'il parvient à faire rapidement. Et comme je m'y attendais, son visage se décompose.
Je me lève de table et m'avance vers lui, tout sourire.
Si j'oublie une seconde la colère que je ressens,
je dois dire qu'il est terriblement séduisant avec son polo bleu et son pantalon noir.
Il sent atrocement bon également.
Il me rend vraiment folle, aussi bien dans le bon que dans le mauvais côté.

Moi : Bien le bonjour mon cher agent. J'ai déjà pris notre table, allons-y.

Je le prends par le bras, et Jaden avance dans rien dire.
Je constate qu'il est trop choqué pour prononcer un mot ou sortir un bruit de sa magnifique bouche.
Nous nous asseyons l'un en face de l'autre, et je croise de nouveau les jambes, tentant de conserver cette apparence de femme élégante, confiante. Ce qui pour ma part, n'est pas du tout le cas.
Mais je veux continuer de conserver cette fausse posture, pour le voir mal à l'aise et se sentir coupable. Qu'il regrette en me voyant de m'avoir menti.
Une fois de plus ...

Moi : Comment dois-je vous appeler Monsieur l'Agent ? Adam ou Jaden ? Pour ma part je m'appelle Emiliana. Mais je crois que vous le saviez déjà, pas vrai ?

Jaden : Emmy ... je ...

Moi : C'est fou pas vrai ? On vient de se rencontrer mais j'ai l'impression de vous connaître depuis longtemps. Comme si c'était de puis l'enfance. Pourtant au fond je ne sais rien de vous, en vérité.

  J'insiste bien sur le dernier mot.

Jaden : Emmy ... ?

Moi : Bon et que pensez-vous que l'on aille ailleurs ? Genre ... un hôtel ? Vous êtes bien la classe C pas vrai ? Alors j'ai le droit à un supplément nature il me semble ? Ou peut-être n'est-ce pas compris lors de la journée d'essai ?

Finalement, je n'éprouve pas autant de plaisir que je pensais. Quand je vois la culpabilité et aussi la tristesse dans son regard, je songe un instant à arrêter de parler ainsi.
Mais je me souviens de son mensonge, et la colère revient aussitôt.

Jaden : Putain ! Bordel Emmy arrête ça, d'accord ?

Jaden a le visage fermé. Il est culotté d'être énervé contre moi alors que c'est plutôt l'inverse qui est censé se passer.

Moi : Pourquoi ? On vient juste de commencer non ?

Jaden : Allons ailleurs ! Il faut qu'on parle toi et moi. Ce n'est pas ce que tu crois.

  « J'adore » cette phrase, car généralement quand quelqu'un dit ça, c'est souvent ce que l'on croit qui est vrai.

Moi : Quoi ? Tu as honte de parler ici ? De savoir ce que tu fais comme métier ? Si on peut appeler ça un métier.

Jaden : Je n'ai pas du tout honte.

Moi : Vraiment ? Alors pourquoi ne pas me l'avoir dit ?

Jaden : Car nous estimions, Josh, Jenna et moi que tu ne comprendrais pas. Et quand je vois ta réaction, je constate que nous avions eu raison.

Moi : Je suis impressionnée, tu sais retourné la situation à ton avantage on dirait. Genre, je suis celle qui est blâmée. Évidemment que je ne comprends pas si on m'explique pas. Tu m'as menti et tu t'es fichu de moi. Tu as osé me dire des choses alors que derrière tu te tapais d'autres femmes ? C'est ça qui m'énerve dans tout ça. Tu es vraiment pire que ce que je croyais. Tu pensais pouvoir t'en sortir jusqu'à quand comme ça ? Tu pensais vraiment que je n'allais jamais l'apprendre ?

Jaden : Crois-le ou non mais je comptais te le dire le moment venu, mais pas comme ça. Je voulais être certain que ... que nous puissions de nouveau être proches. Je voulais essayer d'utiliser les mots justes pour te faire comprendre ce qu'est ce monde. Ce n'est pas du tout ce que tu crois.

Moi : Tu sais ce que je pense maintenant ? Et qu'est-ce que je pense selon toi ?

Jaden : Qu'on se prostitue pour de l'argent.

Moi : Ce n'est pas ce que toi tu fais puisque tu es classe C ?

Je sens et vois que mes paroles le blessent. Mais lui se fiche de m'avoir blessé, alors pourquoi devrais-je à mon tour me soucier de lui ?
Bien qu'une partie de moi, le fait malgré moi ...

Jaden : Ces personnes qui viennent à l'agence ont le cœur en miettes. Ils n'ont plus goût à rien, ils sont au bord du précipice. Et venir ici est leur dernier espoir, ça leur sauve même parfois la vie pour certains d'entre eux. On les écoute, on tente de leur offrir ce qu'ils ont besoin pour aller mieux, ne serait-ce que pour un court instant.

Moi : Vous êtes « les Cupidons nouvelle génération » ? Incroyable, je suis impressionnée !

Jaden : Au lieu de juger un monde que tu ne connais, viens une journée à l'agence et tu verras.

Moi : Ce que je vois, Jaden, c'est que tu m'as menti, encore une fois. Mais c'est terminé, j'en ai assez de vos mensonges à vous tous, que vous me preniez pour une conne ! Si vraiment tu penses ce que tu me dis, alors vous n'auriez pas dû avoir peur de m'en parler, bien au contraire. Et peut-être même que j'allais finir par comprendre. Mais non, au lieu de ça, vous m'avez mené en bateau, tous autant que vous êtes.

Jaden : Si c'est vraiment ce que tu crois, alors je pense que je n'ai plus rien à faire ici, puisque tu as déjà ton propre avis sur le sujet, et tu sembles de nouveau me détester.

Jaden se lève et me laisse seule.
Ça ne s'est pas passé comme je le voulais. Et ce culotté de Jaden est aussi en colère contre moi maintenant.

Non mais je rêve !

Qu'est-ce que ça m'énerve.
Ça m'énerve d'autant plus de ressentir cette douleur qu'il soit en colère contre moi.
Jaden est parti, sans me regarder, mais je me souviens malgré tout avant qu'il ne part, de ses yeux énervés avant de devenir complètement vides.
Mon cœur est lui aussi vide. Et j'ai l'impression de voir partir Jaden de ma vie encore une fois.

Après le décès de mon oncle, et ce qu'il s'est passé avec mes parents, c'est la pire douleur que j'ai ressenti jusqu'à présent.
Et ça fait terriblement mal ...