Prologue

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                Assis sur une corniche du Mur, assez large pour trois ou quatre personnes, un homme regardait la ville. Silhouette encapuchonnée, il avait un long manteau de cuir, semblant plein de poches à l'extérieur, et à l'intérieur du vêtement. Dans son dos, il avait un grand bâton en diagonale, servant surement de cane plutôt qu'arme, puisqu'il avait aussi une épée, bien faite, dans un fourreau ouvragé. Une vingtaine de mètres plus bas, il y avait le pont qui reliait le Mur, et donc les Farlands, à Laptica, la cité de la République. Balançant ses jambes dans le vide, il contemplait les toits rouges du Quartier Vermeil, le premier quartier créé par les premiers arrivants. C'était de ce quartier que partait le pont. Il était au centre, d'un point de vue vertical, de la cité. Au-dessus, deux quartiers se faisaient face : Le Quartier des Toits d'Or et celui de l'Oiseau. Le premier était le quartier le plus aisé de la cité, avec des manoirs aux grandes tours, et des toits dorés, reflétant la lumière des mousses soleils. Le second était le quartier où étaient parqués les nobles, les « oiseaux », les premiers arrivés en ce nouveau monde, il y a fort longtemps. A Laptica, on reconnaissait les différents quartiers grâce à la couleur de leurs toits. Rouges pour le Vermeil, dorés pour les Toits d'Or, orange pour l'Oiseau. En contrebas, proche de l'eau, et continuant dans les grands ravins sous la ville, il voyait les toits bleus et noirs des Bas-Fonds, le quartier pauvre de la ville, faisant le lien entre la « Haute Ville », et la « Basse Ville », souterraine, qu'était Vil'creuse. D'ici, l'homme ne pouvait pas la voir, car elle était presque exclusivement sous la ville, dans le réseau gigantesque de grottes, s'étendant sur des kilomètres de longs, et des centaines de mètres de profondeur, si bien que personne n'avait déjà exploré le fond.

En observant les cotes, l'homme voyait des petits bateaux de pêche, bravant timidement et difficilement les quelques remous de l'eau. Même sans les voir précisément, l'homme savait que c'était des coques de noix, des planches rudimentairement fixées entre elles dans l'illusion que ça allait tenir. Les rares qui se lançaient dans les activités maritimes comme la pêche étaient soit très courageux, soit très stupides, dans les deux cas leur longévité était compromise. La plupart attachaient leur « navire » à un poteau sur la berge avec une solide corde, qu'ils déployaient petit à petit, puis dont il s'aider pour retourner au port. Sur ces berges justement, faites de pierre et de boue, mêlées à des planches de bois pour combler les crevasses, s'activaient une flopée de petites silhouettes, comme des fourmis, à tout un tas d'activités comme le commerce ou le vol à la tire par exemple.

Au Vermeil, c'était sans doute jour de marché, l'homme était trop loin pour entendre, mais il savait que des cris des commerçants fusaient, alpaguant la foule, vendant leur produits, et insultant les concurrents, des esclaves hurlaient sans doute aussi, payés pour faire l'éloge d'une marchande ou d'une politicienne. Ces jours de grandes ventes, l'argent coulait à flots dans les étals. C'était surement une des seules raisons des habitants des Toits d'Or de se rendre dans un autre quartier, histoire d'y trouver des articles parfois de qualités pour un prix plus qu'abordable pour eux. L'homme pouvait facilement imaginer que certains habitants des Bas-fonds, voire de Vil'creuse avaient réussi à obtenir un droit de passage pour la journée, pour commercer, et allaient évidemment alléger contre leur gré les bourses de quelques bourgeois.

De son perchoir, l'homme s'adonnait à trouver des formes dans les volutes de fumées qui s'élevaient des toits de chaque quartier, se rejoignant plus hauts, puis disparaissant, encore loin du plafond. En suivant ces nuages gris et charbonneux du regard, l'homme contempla, pensif, le plafond de Laptica. La ville était dans une grande cavité, sur une partie rocheuse, faisant face à un grand lac, que les habitants appelaient la Mer, comme les premiers arrivants l'avaient appelée, pensant qu'il n'y avait rien d'autre. De l'autre côté du lac, c'était le Mur, un gigantesque mur, d'une pierre inconnue et trop dure pour pouvoir espérer la percer. A l'origine, trois ponts reliaient la terre et le mur, menant chacun à une des nombreuses ouvertures qu'il y avait dedans. Aujourd'hui, il n'en restait qu'un seul, les autres ayant été détruits pour éviter que des créatures étranges viennent du Mur, ou pire, qu'un habitant parte. Ainsi, il était bien plus facile de contrôler la « frontière » avec un poste de garde interdisant toute sortie, et surveillant l'entrée. Par-delà le Mur, certains érudits savaient qu'il y avait un grand labyrinthe, que certains avaient essayés d'explorer avant que cela ne soit interdit. Peu étaient revenus. Mais presque personne ne savait qu'il y avait aussi des ouvertures cotés lac, des grands tunnels aquatiques, certains complètement submergés, d'autres qu'à moitié, qui permettraient, si les moyens techniques étaient là, de les prendre avec des navires. Cependant, on ne savait pas ce qui pouvait s'y trouver. A ce jour, une seule personne était allé dans le Labyrinthe, l'avait franchi et avait atteint les Farlands, puis était revenu. Cette personne y était retourné, pour étudier la faune et la flore qu'on y trouvait, et avait fini par y élire domicile, quittant sa citoyenneté républicaine, et revenant de temps en temps, quand le Conseil le lui accordait, pour faire part de ses découvertes et pour rendre visite à ses vieux amis. Cette personne était presque une légende urbaine pour la majorité du peuple, seuls les hauts placés, les érudits et les nobles la connaissaient personnellement, ou au moins savait qu'elle existait. A la fois ses travaux intéressaient les érudits, et sa légende passionnait les férus d'aventure, mais autant elle faisait peur au Conseil, qui n'avait que très peu d'emprise sur elle, et qui avait peur que cette soif d'aventure intéresse un peu trop le peuple. La seule raison pour laquelle le Conseil acceptait sa venue, c'était les cadeaux qu'elle ramenait, et les études qu'elle partageait, qui contenait des choses très intéressantes par rapport aux ressources présentes dans les Farlands. La dernière fois qu'elle était venue, c'était il y a vingt et un ans, un écart qui était un plus long que la moyenne, puisqu'habituellement, il passait quelques semaines, parfois mois, à Laptica une fois tous les six à dix ans. Cette personne, c'était un homme, ce qui gênait beaucoup dans la République Féministe de Laptica. Son nom n'était prononçable que pour les nobles, donc il utilisait un autre nom pour s'adresser aux humains, il était un des oiseaux arrivés en premier dans ce nouveau monde, il y a maintenant presque un siècle. Pour l'imaginaire commun du peuple, il était difficile d'imaginer que les nobles, ces gens qui avaient étés détrônés il y a longtemps par les Républicains, ces gens parqués dans un quartier étrange, d'où personne ne sortait jamais, ni ne rentrait, ces gens également auxquels les mythes et légendes qu'on leur racontait attribuaient des pouvoirs magiques, pouvaient vivre aussi longtemps. En réalité, même les oiseaux ne savaient pas quelle était leur longévité. Ils vieillissaient très lentement, si bien que les premiers, qui avaient alors plus de cent dix ans, en paraissait à peine trente, et ce depuis plusieurs décennies. Ce dont ils étaient sûrs cependant, c'est que pour eux, la reproduction était particulièrement compliquée : fécondation très rare, une gestation de non pas neufs mois mais neufs années, cela rebutait donc les nobles à faire des enfants, bien que certains soient déjà nés en réalité.

Voyant les gardes se préparer pour la relève au poste de frontière, l'homme sut qu'il était temps d'aller à leur rencontre. Il se releva, et sauta.

Contemplations d'un Autre MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant