Sybïl ou l'éveil de l'intérêt (II)

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Le lendemain, à l'aube, les croassements d'un corbeau réveillèrent Sybïl. Elle ouvrit les yeux en grognant, et découvrit trois volatiles qui voletaient en cercle au-dessus d'elle en poussant des cris rauques. Quand ils virent qu'elle était réveillée, ils partirent par une trappe dans le plafond, qui se ferma après eux. La jeune fille se redressa, elle était toujours habillée depuis hier, ses vêtements étaient tout froissés. Combien de temps avait-elle pleuré avant de dormir ? Elle ne savait même pas pourquoi. Elle se fichait bien de l'opinion de ce sale voleur, et rien ne la rattachait à Laptica désormais... Un visage lui apparut d'un coup : jeune, rondouillard, blond comme elle, des yeux bleus... Finn, il y avait Finn à Laptica. Non. Elle ne devait pas penser à Finn, elle ne devait pas. Elle n'avait presque pas pensé à lui consciemment pendant le voyage, elle s'en sentait coupable, mais c'était nécessaire. En vérité, tous ces changements l'avaient chamboulée plus qu'elle ne voulait se l'avouer. Chancelante, comme elle sentait que ses yeux se mouillaient, elle voulut s'occuper : elle se leva, et ouvrit les rideaux et les volets, laissant la chaude lumière du Soleil entrer en lui brisant les yeux. Elle enfila la robe dans sa penderie. Elle était très confortable, mais un peu petite, ce qui la serrait au niveau de la poitrine et des hanches. Elle n'était pas bien habituée à porter de robe sans tenue de travail dessous, et se sentait presque nue dans ce pourtant long vêtement. La robe lui arrivait jusqu'aux genoux, et elle portait des dessous, mais sans pantalon et chemise, elle n'avait pas l'impression d'être normalement habillée. Cependant, elle devait admettre qu'elle n'avait jamais ressenti un confort pareil.

Soudain, Sybïl entendit un grognement assourdissant et une vive douleur. C'était le cri d'un monstre ignoble, du plus grands des malheur : son ventre venait de gargouiller. Elle mit ses mains dessus, en grognant à son tour. Elle enfila en vitesse les souliers d'intérieurs – ils étaient d'une extrême douceur – et se décida à sortir. Le couloir était vide, aucune trace des garçons. Elle descendit les escaliers en vitesse, envahie d'une excitation inexpliquée contrastant avec sa faim. Dans le grand hall, une table était dressée, deux personnes y étaient installées, deux blonds, Stýri et Ulrich. Ils mangeaient des parts de tartes aux fruits. Le ventre de la jeune fille recommença à geindre. Un rire retentit derrière elle, elle se retourna et vit Crepïa, deux pichets dans les mains, qui la regardait en souriant. Le voir sourire, dans une robe comme les garçons et elle, des souliers aux pieds et sans son bâton et son manteau avait quelque chose d'étrange, Sybïl s'était habituée à son air mystérieux et détaché.

« Bonjour Sybïl, un petit creux ? Va t'assoir avec les autres, je vous emmène de quoi boire. » Dit-il.

Elle le remercia et alla s'assoir à côté de Stýri, en face d'Ulrich. Ils ne parlaient pas, Ulrich s'étant retranché dans son mutisme et mangeant en silence, sans un regard pour la jeune fille. Heureusement, Stýri était plus bavard. A peine assise, il lui donna une part de tarte aux fruits rouges, et lui demanda comment était sa chambre. Ils discutèrent de leur première nuit, dans les détails. Sybïl omit simplement ses pleurs de la veille. Stýri, quant à lui, comme à son habitude, il lui raconta en détail ses rêves de lunatique, auxquels il semblait accorder une grande importance symbolique alors qu'elle-même n'y comprenait rien. Pendant leur discussion, Ulrich leur lança de rares coups d'œil étonnés, comme s'il ne pensait pas l'amitié entre une femme et un homme possible, ce qui était compréhensible pour un garçon venant des Bas-fonds de Laptica.

Crepïa déposa en tout deux pichets et trois bouteilles. Dans les premiers, il y avait du lait de brebis et du thé vert, chauds, et dans les secondes, il avait fait du jus de pomme, de poire et de fruits rouges. Sybïl n'avait jamais aussi bien mangé ni bu.

« C'est ça que les gens des Toits d'Or mangent ? » Demanda Stýri

« Non » répondit Crepïa « Nous sommes les seuls... humains à manger aussi bien, Laptica n'a pas assez de ressources pour faire ça ».

Contemplations d'un Autre MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant