Anémone ou le désir du lac (1)

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Deux mois qu'Ulrich est l'apprenti de Crepïa, l'étrange homme qui vit dans les Farlands et qui y étudie la faune et la flore. Il apprend beaucoup mais la solitude le pèse, sans autre compagnie que son maitre.

Dans ce nouveau monde, il se demande s'ils sont seuls. Y a-t-il d'autres gens par ici ? Surement.

Second épisode des Contemplations,encore une fois du point de vue d'Ulrich.

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                Au matin de ce jour-là, Ulrich descendit au lac, pour aller contempler la surface brumeuse matinale. Il n'avait pas eu de mal à avoir l'aval de son maitre, qui ne lui refusait jamais une promenade inspirante, surtout dans un lieu connu et paisible comme le lac. Il ne lui avait donné que trois consignes : ne pas aller dans le lac, ne pas en faire le tour deux fois dans le même sens et ramener des fruits des arbres environnants pour le repas. Ulrich s'était habillé légèrement, en cette tiède matinée de saison des fleurs, avec une simple chemise de lin et des bas en chanvre. Il mit cependant tout de même une paire de botte, parce que les berges étaient boueuses le matin. Dans sa besace, il avait pris de quoi écrire, prendre des notes et dessiner, comme il le faisait toujours en cas de besoin, ainsi qu'un couteau, un mouchoir et une paire de chaussette de change en cas de pépin. Il portait aussi un panier d'osier tressé, pour ramener les fruits demandés par son maitre.

Il fallait marcher un petit moment pour se rendre au lac, mais son maitre, au cours des années, avait balisé le chemin, si bien qu'Ulrich ne pouvait pas se perdre. Ulrich voulait donc partir à l'aurore, pour être là-bas suffisamment tôt pour pouvoir en profiter toute la matinée, son maitre l'ayant prévenu que l'après-midi serait consacré à des leçons. Au moment où le jeune homme partait, son maitre était dans le salon, s'occupant des oisillons qui avaient éclot quelques jours plus tôt. Il était important pour son maitre d'élever ses oiseaux, mais Ulrich ne savait pas encore pourquoi. En sortant, la brume matinale ne s'était pas encore levée, et le soleil perçait difficilement ses bas nuages terrestres. Ulrich récupéra son bâton de marche dans la remise, et sortit du domaine, non sans aller dire bonjour aux braves marcheurs des plaines, déjà réveillés. Puis il prit la route du lac, suivant le sentier tracé par son maitre et les petits panneaux l'indiquant.

Pour aller jusqu'au lac, il fallait descendre les collines, mais heureusement, il n'y avait pas forcément de bois à traverser. De bon matin, en pleine brume, les forêts faisaient presque aussi peur que la nuit. En chemin, Ulrich repéra des trous de rats-taupes non loin ; il faudra faire attention avec les récoltes et les greniers. Sachant que pour une fois, les Farlands n'étaient pas très hostiles, le garçon sifflotait, guilleret. Enfin, au détour d'une colline, bien plus tôt qu'il ne le pensait, s'étant bien engaillardi depuis son arrivé, la surface miroitante et argentée du lac apparut en contrebas.

Ulrich dévala la pente, jusqu'à arriver aux berges rocailleuses. Le lac s'étendait devant lui, une immense étendue d'eau sombre, enveloppée de brouillard. L'eau était lisse, rarement remuée par quelque remous, surement un poisson ou une grenouille. Des nénuphars en fleurs longeaient la berge du lac, offrant une couronne de fleur magnifique à ce beau lac. Dans ces plantes, et dans les joncs qui les accompagnent, des petits bruits faisaient vivre cet endroit : des croassements aigus de grenouilles, et des graves de crapauds, des bourdonnements des insectes filant au-dessus de l'eau, cherchant à manger, et se faisant manger, maillons fidèles de la chaine alimentaire de la divine nature. Autour du lac, il y avait peu de végétation, mais quelques saules faisaient pendre leurs longues feuilles roses et blanches sur le lac, le troublant quand le vent les agitait. De temps en temps, des oiseaux se mettaient à chanter dans les branches ou dans le ciel, remplissant l'air de mélodies inattendues et harmonieuses, se mêlant comme si c'était prévu justement avec les bruits de la surface du lac. C'est toute la beauté qu'Ulrich trouvait dans la nature, ces différentes couches de visuel et de sons, beaux séparément, mais inouïs ensemble.

Contemplations d'un Autre MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant