Ulrich ou la juste fuite (1)

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Dans les Bas-Fonds de Laptica, Ulrich, Olrak et Omiaga vivait comme des rats, et ont donc fuit dans la ville basse de Vil'creuse. De là, ils sortent de temps en temps pour rapiner de quoi vivre, mais lorsqu'il se fait attraper par la garde, Ulrich est loin de penser que cela changera sa vie.

Premier épisode des Contemplations, du point de vue d'Ulrich. Pose le contexte avec le prologue. Plus long que la moyenne, il sert vraiment d'ancrage dans le monde de Laptica, et est le premier épisode à lire tout cycle confondu.

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« Reviens ici sale voleur ! Rat ! Sale garçon ! »

Ulrich courrait à en perdre haleine, il savait que si la boulangère à qui il venait de voler du pain le rattrapait, il mourrait. Il connaissait ces rues, il était né dans les Bas-fonds, et il y mourrait sans doute, peut-être même ce jour-là, s'il ne courrait pas assez vite. Il fallait simplement qu'il atteigne les portes de Vil'creuse, son frère Olrak et son ami Omiaga l'attendaient là-bas, parlant avec les gardes, pour qu'ils ne ferment pas les portes. Cela faisait plusieurs mois qu'ils vivaient à Vil'creuse, ayant fui leur condition d'hommes des Bas-fonds de la République. Ils étaient traités comme des animaux, ils étaient pauvres et Omiaga avait même été esclave jusqu'à ses quinze ans. Ulrich savait que si sa mère le retrouvait elle le ferait esclave, ou même le tuerait, pour avoir fui le foyer familial alors qu'elle lui avait trouvé une compagne pour le marier et faire une alliance avec une autre famille. Mais Ulrich était un beau rêveur, il ne voulait pas d'un mariage arrangé, ni d'une vie minable d'homme républicain. Il préférait encore se réfugier à Vil'creuse, même si là-bas les gens détestaient les étrangers comme lui, mais les accueillaient quand même, attendant qu'ils fassent leurs preuves pour mériter le titre d'habitants de la ville basse.

C'était un fier jeune homme que cet Ulrich. Un garçon blond, grand, avec des yeux bleus verts, presque turquoise. Sa peau était pale, comme celle de la majorité des habitants de la République, par manque de lumière solaire, d'après ce que disaient les érudits qui faisaient la leçon une fois par semaine aux jeunes femmes, quoi que soit cette chose étrangère. Ulrich et Omiaga y avait parfois été, cachés évidemment, par soif de savoir. Mais sa peau, bien que très claire, ne l'était pas autant que celle des gens de Vil'creuse : ceux qui y vivaient depuis longtemps, voire qui y étaient nés, avaient la peau presque blanche, comme des os bien nettoyés. On pouvait voir leurs veines bleues ou violettes, et pour certains vertes quand ils consommaient un peu trop de chab'rak, cette drogue que la ville basse produisait en quantité, et tentait de revendre à la surface, bien que ce soit illégal. Mais Ulrich n'était pas beau pour autant, il était pauvre, sous-alimenté, affaibli. Il était sale, ses vêtements déchirés, sa silhouette trop fine pour un garçon de son âge, il devait bien lui manquer une bonne quinzaine de kilos. Ses cheveux étaient ébouriffés, pleins de nœuds et de poux, et ils avaient déjà été plus éclatants. Sous ses yeux, deux énormes cernes lui donnaient l'air d'un rescapé d'une catastrophe, ou d'une femme trop et mal maquillée, au choix. Il ressemblait à une loque humaine, ce que lui et ses deux compères devenaient peu à peu.

Une corne retentit derrière lui, un peu loin. La boulangère avait appelé la garde. Une patrouille entière surement. Ulrich se retourna pour s'en assurer, et vit effectivement cinq femmes en uniforme, gambison et casque à visière, cape verte avec le symbole de la République dessus. Le bruit de leurs bottes de cuir rembourré s'approchait en véritable cavalcade, et bien trop rapidement. Ulrich glapit et se remit à courir, accélérant, le morceau de pain serré contre son torse, dans sa vieille veste rapiécée. Par reflexe, les habitants s'écartaient de son passage, sans songer à l'arrêter pour que la garde le rattrape. Au bout de la rue, il bifurqua dans une des nombreuses petites ruelles traitresses des Bas-Fonds. C'était une impasse, du moins en apparence. Quand la garde arriverait là, elle verrait une petite ruelle, étroite, avec un grand et haut mur en brique au fond, impossible à escalader, et des ordures sur les côtés. Le garçon savait que, même si elles fouillaient chaque tas d'ordure, les gardes ne parviendraient pas à trouver l'endroit par lequel il était parti. Dans les yeux d'Ulrich, cette ruelle n'était pas une impasse, mais une porte de sortie. Un vieux conduit débouchait ici, menant sans doute à la mer, mais pas que. Pour un garçon des Bas-Fonds, c'était surtout un moyen d'aller dans les « égouts », un ensemble de tunnels, creusés par l'humain, ou pas, et qui reliait chaque recoin des Bas-Fonds. Ulrich s'y engouffra, et glissa un temps, avant de s'agripper à un petit creux, qui étaient en fait une trappe, dans laquelle il s'engouffra, la refermant derrière lui. Dans un noir total, il longea le mur droit, le touchant de la main, jusqu'à sentir du bois : une trappe. Peu importe où elle menait, Ulrich l'accueillait avec joie, car, bien que ce soit un très bon moyen de se mouvoir discrètement, les égouts étaient sans doute l'un des endroits les plus terrifiant de Laptica, des tunnels remplis d'une obscurité opaque, avalant toute source de lumière ou de chaleur. Il y faisait froid, noir, et un silence de mort y régnait en maitre absolu. Qui savait quels terribles dangers s'y terraient ?

Contemplations d'un Autre MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant