Prologue

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Il y a des moments où je me demande à quoi ma vie aurait pu ressembler si la guerre n'avait pas existé. Qu'aurais-je pu vivre ou ressentir ?

De nombreux jours ont changés ma vie et ma façon d'être. Le premier jour ou mon monde à basculer fut un samedi courant septembre 1898.

Ce jour-là, j'avais sept ans et, comme chaque samedi, je me rendais au marché avec mon petit frère pour acheter du pain et des légumes. Là-bas, je veillais à ne pas trop dépenser de sous, car nous vivions dans une précarité des plus hostiles, survivant grâce au salaire maigre de mon père.

Avec mon frère nous nous permettions de regarder avec convoitise les sucreries de madame Vendelingen. C'était une dame grasse d'un certain âge, plutôt désagréable, mais qui avait un savoir faire d'une beauté incomparable.

Malgré notre situation difficile et le fait que je pouvais difficilement aller à l'école, j'avais la chance d'avoir un ami. Martin Bacare, fils de bourgeois, était mon meilleur ami depuis l'âge de cinq ans. Je me rendais souvent chez lui, car je me sentais en sécurité et aimer. Ses parents étaient si bienveillants avec moi que je ne pouvais m'empêcher d'envier leur famille, si unie. Quant à mes propres parents, ils ne m'apportaient pas l'affection que j'aurais tant voulu avoir... Ne serait-ce qu'un sourire, une caresse...

À mon retour, mon père m'ignora comme à l'accoutumée, et ma mère me lança, sur un ton sec :

« J'espère que tu n'as pas dépensé plus de trois Francs ! »

« Non, je n'ai pas dépensé plus de trois Francs. » Ai-je répondu en baissant les yeux tandis que mon frère courrait dans notre chambre tout tremblant de peur.

« Menteur ! Qu'as-tu acheté de plus ? » Hurla-t-elle en comptant les pièces.

« Je n'ai rien acheté de plus, je vous le promets ! C'est peut-être le prix du pain qui a augmenté... » Lui répliquai-je, les larmes aux yeux.

Elle me flanqua une grosse gifle. Je caressais ma joue rouge, endolorie par la violence de ma punition.

Puis, l'angoisse me tordit les boyaux à l'idée que mon père puisse se retourner et me frapper comme il le faisait chaque samedi de ma si innocente vie. Je tombai par terre, en pleurs. Mais au lieu de me frapper, ma mère me prit par l'oreille et me jeta dehors. J'atterris douloureusement sur la terre sablonneuse et caillouteuse qui écorcha mes genoux frêles. Je me relevai pour voir ma mère à la porte, me regardant avec dédain. Derrière elle, mon frère pleurait, ses iris noirs floutées par un épais rideau de larmes. Mon père m'ordonna de partir avant qu'il ne me rattrape et ne me mette lui-même à l'orphelinat. Par peur, je m'enfuis.

Je courus à toute vitesse sans direction précise. Le vent me fouettant le visage baigné de larmes, je ne cessais pas de courir encore et encore. Mes jambes me brûlaient autant que mes poumons manquant de souffle. L'orphelinat, tant d'enfants connaissent ce mot dans mon bas monde. Cet endroit où je ne donnerais pas cher de ma peau, mais là-bas je pourrais manger. Je stoppais net ma course effrénée, si j'allais à l'orphelinat je ne reverrais jamais Martin, mais je pourrais manger, oui je mangerais le matin, le midi et le soir. Mais au fond, de quoi avais-je le plus besoin. Avoir un bon repas chaud ou de l'affection ?

En me retournant je ne vis pas mon père, alors je repris ma marche.

En arrivant devant la demeure, je l'aperçus à travers la fenêtre, jouant avec des petites voitures que son père lui avait offertes pour la rentrée. Soudain, sa mère sortit portant un énorme panier de linge sale.

« Guillaume ? Que fais-tu ici à cette heure-ci ? » Me demanda-t-elle d'une voix douce.
« Je venais voir Martin. » Lui mentis-je.
« Eh bien, il est dans sa chambre, tu peux entrer. »

Je la remerciai avec mon plus beau sourire avant de courir vers la porte d'entrée.

Je pris soin d'enlever mes chaussures toutes sales et je montais les grands escaliers de la maison. Cette maison était le logement de fonction du père de Martin. Ce dernier étant militaire de carrière, il avait des missions loin de leur maison bourguignonne. Mais là ne fut pas le moment pour les descriptions.

Revoir Martin me fit le plus grand des biens et en tant qu'ami et confident je me permis de lui raconter ce que j'avais vécu ces derniers instants. Martin m'écouta attentivement me serrant dans ses bras lorsque je pleurais. Quand j'eus fini mon récit il m'invita à jouer avec lui.

Enfin, lorsque le soir tomba, Martin raconta mes mésaventures à ses parents. Ces derniers ne dirent rien. Pas un son ne sortit de leur bouche. Alors que je me sentais aussi vide qu'une coquille, prêt à rentrer chez moi, prêt à affronter ce que j'ai toujours redouté, Isabelle, la mère de Martin m'apostropha :

« Guillaume ! Où comptes-tu dormir cette nuit ? »

« À la maison. » Lui répondis-je timidement.

« Reste ici plutôt, nous prendrons le dîner tous ensemble et tu dormiras dans la chambre bleue. Cela te convient-il ? »

Mon cœur rata un battement puis j'hochais timidement la tête. Bien sûr que je voulais rester ! Même si je devais dormir dans la niche du chien j'aurais accepté !

Nous mangeâmes comme convenu tous ensemble, échangeant maintes histoires drôles, la symphonie et l'harmonie de cette famille me beurrant abondamment le cœur et me redonnant le sourire. Le repas se termina par une délicieuse soupe qui cajola mon ventre de sa chaleur nourrissante.

Enfin, Isabelle me montra ma chambre pour la nuit qui était spacieuse et ses murs bleus étaient apaisants, tranquillisant et doux. Elle me donna un vêtement de nuit dont le tissu était tendre et chaud. Ensuite elle s'accroupit en face de moi, m'ébouriffa les cheveux et m'embrassa tendrement le front. Mon petit corps tremblait d'amour et je ne pus m'empêcher de la serrer très fort. Elle me rendit mon étreinte avant que je ne sois emporté par un lourd sommeil. Je me sentais léger comme une plume de colombe, le marchand de sable me permettant de m'évader dans des contrées lointaines tout en tenant la main d'Isabelle que j'aurais voulu appeler maman.

Au petit matin, Martin vint dans la chambre en criant de joie. Il sauta partout me tirant de mon repos. Je ne comprenais pas ce qu'il hurlait quand je vis Isabelle à l'entrée de la chambre, le visage rayonnant.

Je ne le savais pas encore, mais les parents de Martin avaient longuement parlé hier soir et ils avaient pris la décision de me « prendre sous leur aile ». Oui, ils avaient décidé de m'accueillir et de me traiter comme leur propre fils ! Ils avaient pitié de moi et aspiraient également à avoir un second enfant, mais cela n'était pas possible. Tout se précipitait tellement pour moi que les larmes coulèrent. La mère de Martin s'avança pour me prendre dans ses bras. Ce fut une énorme explosion de joie, de tendresse et d'amour qui consuma mon petit cœur en quelques secondes. Je fus parcouru de violents tremblements d'excitation tant la nouvelle fut légère à assimiler.

« Guillaume, nous allons prendre soin de toi. Je te le promets. Tu ne reverras plus jamais ces monstres. Tu es désormais notre fils. » Me dit-elle en essuyant une larme qui perlait le long de ma joue.
« Merci, madame Bacare... » Répondis-je en pleurant de bonheur.
« Mais à une condition : tu ne nous appelleras plus jamais monsieur et madame. »
Soudain le visage de mon petit frère me traversa l'esprit. Et lui qu'allait-il devenir ?

« Que va devenir mon frère ?! »

Isabelle baissa les yeux et me prit dans ses bras.


Ma rose pourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant