20 octobre 1912
À ce jour j'ai vingt et un ans et cela fait fort longtemps que j'ai réussi à me défaire des ombres pesantes de ma famille biologique. J'ai trouvé refuge en Bourgogne avec Martin et ses parents devenu les miens. Là, avec ma nouvelle famille j'ai enfin pu faire l'expérience de la vie dans toute sa splendeur. Le bonheur m'enveloppait et une tendresse inexplorée illuminant mon existence. J'avais donc à mes côtés Martin, mon frère, à la complicité enfantine, avec qui je partageais des balades à cheval au gré des prairies dorées, mais aussi des échos de rires résonnant dans les grands corridors du manoir de grand-mère, où nous jouions à cache-cache.
Combien de fois nos espiègleries nous valurent-elles les foudres de notre mère, qui un jour, exaspérée, nous priva de nos escapades dans le jardin aux mille fleurs...Quant à mon père, il était comme une étoile lointaine, brillant de manière intermittente dans le ciel de notre enfance, un militaire toujours en quête d'horizons.
Ah, et j'ai presque oublié de mentionner ces trésors d'apprentissage : les lettres qui dansaient au fil des lignes et des pages, les chiffres qui prenaient vie sous mon crayon en n'en donnant une infinité. Écrire des histoires était devenu ma passion, tissant des fils qui reliaient mes rêves aux réalités que j'effleurais. Tout s'illustrait avec une beauté éclatante et fragile à la fois. Et en évoquant la beauté, il me faut parler du manoir de grand-mère, ce monument de mon enfance, véritable écrin de souvenirs, où chaque pièce murmure des secrets de famille et où l'air s'imprègne des effluves du passé.Il est perdu au milieu d'une immense prairie où quelques arbres le mettent à l'abri des regards indiscrets et où la civilisation est bien lointaine.
Le manoir de grand-mère est entouré d'un immense jardin qui autrefois servait à donner de grandes réceptions. Au-devant, se trouvent des fontaines représentant des personnages de la mythologie grecque. Autour et dans tout le jardin, des fleurs diverses et variées aux multiples couleurs accentuaient la beauté des lieux. Il fallait dire que le jardin ne manquait pas de charme, loin de là. L'entrée était un immense porche avec des rosiers rouge et pourpre. Les escaliers en marbre blanc indiquaient le chemin à suivre pour rejoindre la porte qui quant à elle était en chêne et en fer forgé, dont les poignets représentaient des têtes de lions.
Une fois dans le manoir qui était des plus simples, mais également des plus remplis. Rares étaient les espaces sans meubles. Il y avait énormément de décorations : statues de marbre, vieilles armures en fer, tableaux de grands maîtres, lustres de cristal, etc. Tous ces objets de valeurs appartenaient aux ancêtres de Martin. Il en était fier et si fasciné.
Le hall était si haut qu'on ne voyait pas le plafond pourtant si richement décoré. Un grand escalier de couleur crème se trouvait en face de l'entrée et il menait au premier étage.
Au rez-de-chaussée, il y avait des pièces dignes des temps modernes où les nobles aux goûts luxueux vivaient : salle de bal, salle de réceptions, bureaux, grandes salles à manger, bibliothèques, salons et petits salons.
Enfin, au premier étage, on trouvait les chambres, les salles d'eau, un bureau, et même un salon.
Il existait aussi un deuxième étage, mais je ne m'y étais jamais aventuré.
En plus de tout cet espace bien rempli, il existait aussi une immense cave au sous-sol. On y trouvait un étalage de grands alcools, ainsi maintenus au frais, mais aussi plusieurs caisses contenant toutes sortes de provisions.
En bref, tout était merveilleux, mais le bonheur sans faille n'existe pas. Il n'a pratiquement jamais existé pour la part.
Quand Martin et moi avions à peine dix ans, nous découvrîmes certaines vérités. La première : une guerre serait bientôt déclarée, entraînant le départ de tous les garçons âgés de dix-huit ans et plus. Nos parents ne semblaient ni tristes ni inquiets, car pour eux, cela faisait partie de la normalité. Entre 1870 et 1871, les Prussiens avaient envahi l'Alsace et la Moselle, et il paraissait inévitable qu'un jour, nous devions reprendre ces terres, qui étaient les nôtres. Notre France.
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Ma rose pourpre
Historical FictionOctobre 1916 « Ma chère rose, si seulement tu pouvais imaginer dans quel enfer nous vivons. Dans nos tranchées, il fait terriblement froid, nous avons faim, l'odeur de la mort rode tel un fantôme, les rats nous dévorent et les obus nous rendent fous...