Chapitre 4

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21 septembre 1914

« Tout le monde debout ! » Hurla le général, sa voix résonnant comme un coup de tonnerre à travers le camp.

Les cloches sonnèrent avec frénésie, marquant le début d'une journée que nul ne pourrait oublier. Des cris de panique éclatèrent, se mêlant aux hennissements des chevaux, tandis que la terre tremblait sous le poids écrasant de la cavalerie en furie. Les soldats, blêmes et hagards, couraient dans toutes les directions, comme des insectes désorientés sous la lumière d'une lampe.

Je me levai en hâte, le cœur battant, enfilant mes vêtements dans un état de confusion totale. Une fois dehors, je rejoignis Émir, mon fidèle destrier, qui hennissait d'angoisse, ses yeux écarquillés reflétant la terreur ambiante. Je m'empressai de le seller, mes mains tremblant alors que je réalisais l'ampleur du chaos qui m'entourait.
À peine avais-je grimpé sur son dos que la réalité s'imposa à moi avec une brutalité inouïe.

Plus je m'avançais vers le devant du camp, plus les horreurs se déployaient sous mes yeux, comme une toile macabre peinte de sang et de souffrance. Des soldats, le visage déformé par la douleur, se pressaient vers la tente du médecin.
Des hurlements d'agonie fendaient l'air, des hommes, les yeux vides, traînaient leurs corps mutilés, tandis que d'autres gisaient à même le sol, figés dans une expression de stupeur. La surprise et la violence de l'attaque avait transformé le sol en une mer écarlate. Une odeur de fer et de mort emplissait l'atmosphère, rendant chaque respiration plus difficile que la précédente.
Des chevaux revenaient au galop, leurs flancs ruisselants de sang, la panique dans leurs yeux, sans leur cavalier, était effroyable. Émir se cabra de nombreuse fois ne voulant pas avancer. Je tentais de le rassurer, mais l'écho lointain des balles tirées et des lames tranchantes s'entrechoquant formaient une mélodie macabre qui me poussait moi-même à vouloir faire demi-tour.
Chaque regard, chaque son, chaque odeur me plongeait un peu plus dans un abîme de terreur. Je ne savais plus où poser les yeux, où aller, pris au piège dans cette toile d'horreurs qui me cernaient de toutes parts.

Soudain Albert me rejoignit, il tressaillait sur son cheval, les larmes lui montant aux yeux.

« Soldats formez les rangs ! » Ordonna le général.

Mes oreilles sifflèrent, je n'entendis plus rien. Ma vision devint floue. Albert attrapa mes reines et força Émir à avancer au-devant. Aux côtés de tout ces camarades équidés, il reprit confiance. Il ne reculerait plus. Il irait de l'avant.

Le visage de Juliette m'apparut, si doux et réconfortant. Je voulais tant être au près d'elle et non ici où ma mort était certaine.

Au loin je voyais la forêt, sombre, elle m'engloutirait à coup sûr. Je voyais même les soldats, allemands et camarades tomber comme des mouches.

J'étais figé, noyé dans un océan d'angoisse, incapable de respirer.

« Sortez vos sabres ! À trois, tous en marche ! Pour la France ! À la une ! À la deux ! À la trois !!! » Hurla le général.

Sans que je ne le commande, Émir s'élança au galop avec puissance et courage. Plus nous approchions de la forêt plus il accélérait, sa respiration devenant saccadée. La cavalerie piétinait les cadavres sans remords en y mettant tout son poids. Les soldats avaient le sabre tendu droit devant eux, ils hurlaient pour se donner du courage. Courage que j'avais perdu, mais il fallait le retrouver ! Je pointais mon sabre en avant et Émir galopa encore, et toujours plus vite, plus fier, l'encolure redressée, la tête haute. Nous ne faisions plus qu'un, toute la cavalerie ne fit plus qu'un.

Soudain, les Allemands sortirent de la forêt. Ils déployèrent des armes étranges, froides et impassibles, qui brillaient d'un éclat sinistre sous nos yeux ébahis. Puis, dans un fracas assourdissant les coups de feu résonnèrent les uns à la suite des autres, brisant le silence pesant comme un coup de tonnerre. Les balles avides de chair, transpercèrent les corps des soldats, faisant jaillir le sang de toutes parts. Les cris de douleur se mêlaient à ceux des chevaux, dont la peau tendre et délicate était déchirée par la violence des projectiles.

Certains trébuchèrent, leurs pattes se dérobant sous eux, s'écrasant impitoyablement sur l'herbe déjà souillée par le rouge des combats.

Émir, mon fidèle compagnon, n'avait pas peur. Il galopait avec courage défiant l'horreur qui l'entourait. Mais, dans ce tumulte, une balle siffla. Un son aigre qui annonçait l'inéluctable. Elle trouva sa cible, perçant la poitrine d'Émir avec une précision cruelle. Le temps sembla ralentir alors qu'il s'effondrait, m'emportant avec lui dans sa chute.

Ma tête heurta le sol avec violence. Le goût du fer envahit ma bouche alors que mon nez était ensanglanté. Ignorant la douleur lancinante qui pulsait dans ma tête, je me relevai, mon cœur battant à tout rompre. Je tournai la tête, l'angoisse me paralysant en voyant Émir étendu à terre, immobile.

Je voulus ramper vers lui, mais à cet instant, une douleur vive me foudroya la cuisse. Une balle m'avait touché. Un cri de douleur brut et strident échappa à mes lèvres. Les larmes jaillirent, incontrôlables, alors que je me traînais malgré tout, poussé par un instinct de survie et d'amour.

Lorsque j'atteignis enfin Émir, son regard était devenu trouble. Son souffle n'était plus qu'une caresse légère, presque imperceptible. La terreur tordait mes boyaux, mais je posai mon front contre son chanfrein, caressant doucement sa joue, cherchant à lui transmettre tout l'amour que j'avais pour lui. Je lui murmurais des promesses ou dois-je dire des mensonges réconfortants... Tout irait bien, il ne souffrirait pas, quelqu'un viendrait le sauver.

Ses yeux, empreints de douleur, semblèrent briller d'un sourire amer, conscient au fond de son être, que personne ne viendrait.

Tout à coup, un cheval sauta au-dessus de nous, mais il s'effondra lui aussi un peu plus loin. Je me tournais à nouveau vers Émir, qui cette fois, s'en était allé me laissant seul près de son corps...

Les larmes obscurcirent ma vision, lorsque au cœur de cette tempête, une voix hurla mon nom. Je me retournai avec une lenteur agonisante et à l'horizon enveloppé de fumé, je vis Albert s'élancer vers moi, porté par la frénésie de son cheval. Avant que je ne puisse lui hurler de faire demi-tour, une balle se logea entre ses deux yeux, figeant le temps dans un silence mortel.
Le cheval, effrayé, continua sa course laissant Albert s'effondrer à mes côtés comme une poupée de chiffon. Avec le peu de force qui me restait, je fermai ses yeux, ce regard désormais vide qui avait tant vibré de vie.

La guerre est un monstre immonde et implacable qui venait de me voler mon tendre Émir et maintenant elle s'acharnait sur mon cher camarade. Mes larmes semblables à un orage déchaîné, inondaient mon visage, tandis que mon cœur se fissurait, se brisait en milliers de fragments acérés. Dans un ultime effort, je saisis la plaque d'Albert, me promettant d'écrire à sa famille et à sa fiancée elle qui devait l'attendre pour Noël comme ma rose m'attend.
Mais soudain, un frisson glacial me traversa : sa famille... était la mienne. Mon cher petit frère... c'était donc toi...

La douleur était si profonde, si insupportable, que je ne pouvais la contenir. Le poids de cette révélation m'écrasa, et je compris que le vide laissé par Albert serait désormais un abîme béant dans ma vie. Le chagrin, comme une mer déchaînée, engloutissait tout sur son passage ne laissant derrière lui que le souvenir d'un sourire, d'un éclat de rire, et cette absence dévastatrice.
Un hurlement de désespoir s'échappa de mes lèvres résonnant sur le champ de bataille. Mes mots se mélangeaient dans un flot d'excuses désenchantées... Oui c'était toi... Toi que j'avais abandonné il y a si longtemps... Toi que j'avais cherché après mon départ... Toi... Oh mon petit frère...
Je rampai, désespéré, à ses côtés, le prenant dans mes bras, hurlant ma douleur au ciel, comme si cela pouvait apaiser l'horreur de ce moment. Son corps était encore chaud contre le mien gelé de terreur et parcouru de tremblements incontrôlables...
Albert... Mon petit frère... Tu étais si proche, si désespérément près de moi...
Albert Martinez...

Ses pupilles sombres étaient les tiennes...

Un coup de canon fut tiré et me sortit de ma sanglante tristesse. La guerre venait seulement de commencer...


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