Quelques jours après l'annonce de la guerre, je me retrouvai contraint d'enfiler l'uniforme flamboyant de la cavalerie française, tandis que Martin, devenait soldat de terre. À première vue, cet uniforme me paraissait presque grotesque : un pantalon rouge pétant qui semblait tirer ses couleurs de la fête foraine, un haut bleu marine qui, paradoxalement, aurait presque pu passer pour élégant si l'on ne tenait pas compte de son association. Et ce casque, si léger et peu protecteur, me laissait une sourde inquiétude, me faisant penser à la vulnérabilité de nos vies face aux lames acérées qui pourraient frapper à tout moment.
« Oh mes chers enfants, vous êtes de si beaux hommes dans vos uniformes ! » S'écria ma mère, sa voix tremblante de fierté mêlée de tristesse. Des larmes coulaient le long de ses joues alors qu'elle nous scrutait, essayant de graver chaque détail de nos visages dans sa mémoire. Heureusement, vous serez de retour pour Noël... sinon, qui mangera la dinde ? » Ajouta-t-elle avec une tentative de légèreté, mais son sourire trahissait une vague d'angoisse.
« Pour Noël, dis-tu ? » Interrogea Martin, tout épanouit, ses yeux embués.
« Oh que oui, je peux te le garantir ! C'est écrit noir sur blanc dans le journal. » Répondit-elle, sa voix se haussant d'une note d'assurance.
Nous sortîmes alors sous le ciel lourd d'un matin chargé de promesses mêlées d'incertitudes, nos chevaux trottants avec une vigueur qui contrastait avec la morosité ambiante. La ville la plus proche s'élevait devant nous, grouillante de soldats, chacun portant sur ses épaules le poids écrasant de ses paquetages et de ses craintes. Nous ne pouvions pas ne pas avoir peur. Cependant, tous arboraient un fier sourire qui était apaisant. Dans la frénésie de ces préparatifs, une pensée affreuse me frappa : je n'avais pas pris le temps de dire au revoir à ma rose ! Mon cœur fut profondément blessé à l'idée de ce manque. Mais, me répétant les paroles de ma mère, j'espérais qu'elle n'aurait pas à attendre trop longtemps mon retour. La guerre sera l'affaire de quelques mois.
Au loin, une silhouette familière se détacha. C'était mon père, vêtu de son propre uniforme, il s'avançait vers Martin et moi, un cheval d'un noir puissant à ses côtés. Son regard, normalement si sévère, portait une lueur d'inquiétude.
« Voici Émir. Ce sera ton cheval pour les combats. Monte, nous partons. » M'annonça-t-il d'une voix dure, dépourvue de toute émotion.
« Nous partons déjà ? » Osai-je demander, le cœur battant frénétiquement dans ma poitrine alors que je laissais mon ancien destrier entre les mains de mon père pour enfourcher ce nouveau compagnon.
« Oui, nous partons aujourd'hui ! » Rugit-il d'un ton qui ne laissait place à aucune objection.
Sans un mot de plus, je baissai les yeux. Puis son regard s'adoucit.« Excuse-moi, mon fils, de m'être emporté ainsi. Avoua-t-il en posant une main réconfortante sur ma joue. Tu sais, à travers mon expérience, j'ai vu de nombreuses tragédies et horreurs que pouvait causé de la guerre. Cette guerre-ci pourrait te coûter la vie. Je ne peux pas supporter l'idée de perdre toi et ton frère. Et là où vous allez, vous ne pourrez pas veiller l'un sur l'autre. Personne ne pourra vous protéger, hormis vous-même et encore... »
Surpris et troublé par la vulnérabilité de son aveu, je tournai mon regard vers Martin. Ses yeux étaient embués de larmes tandis qu'il sniffait, sa main tremblante s'étendant vers moi. Je l'attrapai, la serrant avec une tendresse réconfortante.
« Je sais que je me suis comporté comme un imbécile ces deux dernières années, et je le regrette. Murmura-t-il, la voix nouée par l'émotion. J'ai peur. J'ai envie de me battre, mais j'ai aussi cette terreur sourde de mourir sans avoir eu la chance de te dire à quel point je t'aime mon frère. J'avoue que la mort m'effraye énormément... »
Je ris doucement, essayant de dissiper cette atmosphère lourde de mélancolie.« Personne ne va mourir Martin, ne t'inquiète pas. Je t'aime moi aussi. » Soufflai-je, avec une naïveté presque touchante.
Il me frappa amicalement l'épaule, puis il disparut dans la foule. Tout en grattant l'encolure de mon nouveau compagnon, Émir, je faisais mes adieux à ma mère en lui embrassant tendrement la joue.
À mes côtés, mon père essuyait discrètement ses larmes, conscient de la tempête qui s'annonçait.Soudain, une voix appela mon nom. En me retournant, je découvris une jeune femme vêtue de blanc ornée d'une rose dans les cheveux...
Mon sang ne fit qu'un tour et mon cœur s'emballa.
« Guillaume ! Vous êtes si cruel d'être parti sans m'avoir dit au-revoir ! » Ronchonna-t-elle.
« Eh bien, je vous dis au revoir ma si douce rose. » Lui répondis-je en souriant.
« Mon nom, soldat, est Juliette. Et je vous en prie ! Écrivez-moi souvent... »
« Quel si beau nom pour une si belle femme. Ma chère Juliette, je vous promets de vous écrire une lettre par jour. »
Elle me sourit avant que je ne l'embrasse.
« Alors à Noël ? »
« À Noël. » Conclus-je.
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Ma rose pourpre
Historical FictionOctobre 1916 « Ma chère rose, si seulement tu pouvais imaginer dans quel enfer nous vivons. Dans nos tranchées, il fait terriblement froid, nous avons faim, l'odeur de la mort rode tel un fantôme, les rats nous dévorent et les obus nous rendent fous...