Chapitre 3

1 1 0
                                    

« Ma Chère Juliette,

Voici déjà une semaine que nous avançons et nous manquons déjà de nourriture et d'eau. Nous plantons nos tentes ici et là pour nous reposer puis nous repartons. Est-ce cela la guerre ? Le front est-il encore si loin ? Et puis déjà une semaine que toi et ma famille vous me manquez terriblement. Heureusement, j'ai à mes côtés Émir mon cheval avec qui je suis, si on peut le dire ainsi, très proche.

J'ai également fait la chaleureuse rencontre d'Albert, un jeune homme de dix-huit ans tout au plus. Il est d'une grande gentillesse, mais d'une nature plutôt craintive. Il ne cesse de parler de sa fiancée, le cœur plein de rêves, il espère ce sortir de la misère et lui offrir un avenir meilleur. Il est convaincu que son salaire de soldat leur permettra de se marier dignement et d'acquérir une maison pour eux-seuls. Toutefois, cet Albert m'intrigue. Il m'évoque quelqu'un de familier. Ses yeux sombres me rappellent une personne à laquelle je pense constamment en ces temps troublés et que j'ai laissé derrière moi il y a tant d'années déjà. Je sais qu'il est quelque part sur un front à la guerre, mais où ?

Quant à mon père, il est souvent absent, disparaissant pendant trois à quatre jours avant de réapparaître. Son devoir de haut commandant le réclame sans cesse...

Ma chère rose... Prends bien soin de ma mère.

Je t'aime de tout mon cœur.


Guillaume »

« Mon Cher Amour,

Il m'est difficile de mettre des mots sur mes pensées en ce moment, mais t'écrire me réconforte tout comme recevoir de tes nouvelles m'enthousiasme.

Ta mère, elle, paraît sereine. Pourtant, derrière ce visage, je perçois une profonde inquiétude. C'est étrange, car il y a peu, elle semblait si confiante et déterminée face à la menace de la guerre qui pèse sur nous. Peut-être est-ce le poids de la situation qui commence à l'affecter, ou peut-être est-elle simplement fatiguée de votre absence pesante.
En ce qui concerne notre quotidien, nous ne manquons pas encore de nourriture, ce qui est un soulagement, mais la situation
en ville devient de plus en plus préoccupante. L'usine de textile, qui était autrefois un lieu de travail animé, souffre d'un manque cruel de main-d'œuvre. J'ai donc décidé de me porter volontaire pour apporter mon aide. La patronne m'a accueillie avec un immense sourire, reconnaissante de pouvoir compter sur moi. J'espère que ma contribution, bien que modeste, pourra faire une différence.

Bien, ne parlons plus de guerre, mais des festivités hivernales !
Je suis curieuse de savoir ce que tu aimerais recevoir cette année. As-tu des souhaits particuliers en tête ? J'aimerais tant pouvoir te faire plaisir
mon amour.

Je voudrais que Noël soit déjà là pour te retrouver.
Sache que tu es constamment dans mes pensées et que je t'aime de tout mon cœur.

Prends soin de toi, mon amour, et donne-moi de tes nouvelles dès que tu le peux.

Avec toute ma tendresse,

Ta rose »

La fin de l'après-midi s'installait doucement, enveloppant le camp d'une lumière dorée. Émir, mon fidèle compagnon, se tenait à mes côtés, ses sabots frappant le sol avec un doux écho sur l'herbe verte, presque comme une mélodie apaisante. Je gratouillais son encolure, mes doigts glissant sur sa robe soyeuse, ressentant à chaque caresse une chaleur réconfortante. La guerre, cette ombre menaçante qui planait au-dessus de nous, semblait encore lointaine, son bruit effroyable n'ayant pas encore franchi le seuil de notre réalité.

Les jours passaient, pesants, rythmés par l'angoisse sourde des soldats qui, autour des feux de camp, murmuraient des rumeurs inquiétantes.

« L'armée allemande n'est pas loin ! Je les ai vus ! » Disaient-ils, leurs visages marqués par la fatigue, tandis que je ressentais un frisson glacé courir le long de ma colonne vertébrale. Pourtant, tout demeurait étrangement calme, comme si le monde retenait son souffle, comme si personne n'osait porter le premier coup.

Je levais les yeux vers l'horizon, vers la forêt, mon cœur battant la chamade dans ma poitrine, croyant apercevoir l'ombre menaçante de l'ennemi. Mais rien. Personne.

Je me recentrais sur Émir, ce noble cheval qui, dans son regard profond et intelligent, semblait comprendre mes angoisses. Lui parler, le brosser, lui donner à manger était devenu mon refuge, ma manière de tenir bon dans ce tumulte d'incertitudes. Dans ses yeux, je voyais une lueur de réconfort, une promesse silencieuse que je n'étais pas seul.

Une fois ses soins terminés, je me dirigeais vers mon sabre, qui reposait paisiblement à l'ombre d'un grand arbre. Un sourire, presque involontaire, se dessina sur mes lèvres lorsque je l'attrapai. La lame scintillait sous les derniers rayons du soleil. Je commençais à m'entraîner, laissant mes mouvements s'épanouir avec fluidité, presque instinctivement. Je m'amusais à parer des coups invisibles, à feindre des attaques, me perdant dans cette danse de fer qui, par instants, me faisait oublier l'angoisse qui m'étreignait et faisait hennir Émir. Se moquait-il de moi ? Petit vilain !

Je m'approchais de lui en levant les bras pour lui faire signe de déguerpir. Il se cabra toujours en se moquant de moi. Je ris sourdement avant de me lancer à sa poursuite à travers le camp. Lui au petit galop hennissant de joie et moi essouffler, riant, cheveux au vent. Notre petit jeu redonna le sourire aux soldats et fit hennir tous les autres chevaux du camp.

Un pur moment de bonheur.

Enfin, Émir s'arrêta, et il se tourna vers moi :

« Merci de si bien prendre soin de moi. Merci de me porter sur ton dos depuis tous ses mois alors que la nourriture manque. Merci mon grand. »

Lorsque la nuit tomba, un parfum délicieux de bois brûlé envahit l'air, alors que les soldats allumaient leurs feux. La chaleur des flammes m'enveloppait, me réchauffant le cœur dans ce quotidien militaire qui devenait à la fois réconfortant et pesant. Je me dirigeais vers ma tente, l'esprit apaisé. À côté de cette dernière, Émir broutait tranquillement et à l'intérieur de la tente, je découvris Albert, déjà plongé dans un sommeil profond, sa respiration régulière et paisible me rassurant. Je m'allongeais sur ma couche, le cœur léger, bercé par le doux crépitement des flammes qui dansaient à l'extérieur.

Dans ce moment de paix, je fermais les yeux. Je me laissais emporter par le sommeil, mon esprit flottant entre le présent et un futur que j'osais espérer radieux, avec Émir à mes côtés, et ma maison, si proche, m'attendant au bout du chemin.


Ma rose pourpreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant