Chapitre 5: Genèse 4:8

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Je serais incapable de dire combien de temps j'ai passé à Tormhill. Cinq heures ? J'ai vite réalisé que tout ceci n'est qu'un rêve. Impossible de me rappeler le moment où j'y suis arrivée, mais à présent, je partage un repas avec des enfants qui semblent tous me connaître. Pourtant, je ne reconnais aucun d'eux. Est ce que je peut vieillir dans ces rêves ? Est ce que je peux être retenue ici contre mon gré ? Ma notion de temps se détériore mais ce monde est tellement mieux que la réalité que je l'ignore. Il semblerait que moi et tous les autres enfants soyons sous la protection de cette "directrice", Lysis Brayley, qui m'observe en silence, lançant des regards sévères toutes les deux minutes, comme si elle craignait que je m'enfuie d'un instant à l'autre. Sur une liste trouvée dans son bureau, j'ai découvert les noms de plusieurs enfants de l'école : Jeremy, le petit garçon de sept ans que j'ai rencontré près de l'arbre lors de mon dernier rêve ; Magnolia, une fillette de cinq ans ; Loan, le plus âgé avec ses 17 ans, qui me scrute de manière étrange ; et Aydan, le garçon brûlé, mon camarade de 15 ans. Mon nom ici est Anastasia Mella, et non Marian, un nom que je trouve bien plus beau. Pourquoi la fuite hanterait-elle Anastasia Mella, une fille si appréciée dans ce paradis où tout semble parfait ? Je ne la comprends pas. Ici, tout le monde est aimant, gentil, amical. Pourquoi vouloir partir ?

Une fille surgit soudainement dans la salle à manger, la panique déformant son visage. La directrice bondit de sa chaise.

-C'est Jeremy, dit-elle. Je l'ai cherché comme vous me l'aviez demandé, mais il n'était nulle part. Ni dans les chambres, ni dans...

-Peu importe où tu ne l'as pas trouvé, Jeanne ! Où est-il ? hurle la directrice.

-Dans la forêt, murmure Jeanne d'une voix tremblante.



Quelques instants plus tard, nous voilà tous dans la forêt, criant le nom de Jeremy. Jeanne porte Magnolia et la réconforte d'une caresse dans les cheveux.

-Tu ne l'as pas vu s'y rendre ? me demande Aydan. Tu n'es pas allée dans la forêt aujourd'hui ?

-Non, la directrice me l'a interdit.

Il rit doucement, moqueur.

-D'habitude, ça ne t'arrête pas.

Je reste silencieuse.

-Tu es différente, ces derniers temps, dit-il en me regardant de côté. Si quelque chose te perturbe, tu n'as qu'à demander.

-Pourquoi est-ce interdit d'aller dans la forêt ?

Il fronce les sourcils.

-C'est dangereux. La directrice veut juste qu'on soit en sécurité.

-Mais la guerre est finie depuis longtemps. Où est le danger ?

Il soupire, visiblement aussi dépassé que moi.

-J'en sais rien, Ana. Mais ici, c'est bien. Je ne veux pas partir.

Je hoche la tête. Il a raison. Cet endroit est parfait.

Nous atteignons enfin le lac, l'eau calme reflétant la lisière de l'autre forêt. Un cri déchire soudainement le silence de l'autre rive.

-C'est lui, annonce Loan.

Je saute dans une barque, prête à ramer, mais la directrice m'arrête.

-Non, Anastasia, pas toi ! ordonne-t-elle.

Je la dévisage, indécise, mais Aydan me pousse à continuer.

-Fonce ! crie-t-il en sautant dans la même barque que moi

Je cède à l'appel du tableau qui avait prédit cette scène. Alors que nous approchons, un rocher bloque soudainement notre avancée, mais le cri de Jeremy se transforme en un hurlement terrifiant. Un cri d'effroi, un cri de mort. Je ne réfléchis plus, je plonge dans l'eau glacée, nage jusqu'à l'autre rive, déterminée à le retrouver. Je grimpe sur la terre et cours vers les hurlements du garçon, l'odeur humide de la forêt me prenant aux nez. Je me perds entre les chênes, me griffe entre les ronces, m'étourdis de fatigue, mais... Tout cela n'est pas réel. Tout ceci ne sert à rien, ce n'est qu'un rêve Anastasia, comme tous les autres que tu as fait cette semaine. Ce gamin n'existe que dans tes rêves.

Une silhouette courant dans les bois m'arrache de mes pensées, je l'aperçois enfin, figé, les yeux grands ouverts de terreur. Je cours à coté de lui et observe son corps, cherchant les blessure.

-Qu'est ce qui c'est passé ?! Tu vas bien ?

Ses yeux sont fixés sur le côté, il ne bouge plus d'un pouce. À quelques pas de lui, à sa gauche, un homme se tient dans l'ombre, vêtu d'une tenue de soldat, un vieux masque à gaz couvrant son visage. Jeremy tremble de tout son être, incapable de bouger. Je lui attrape la main.

-On rentre, papa et maman nous attendent.

Je fais quelques pas en serrant sa main comme une folle avant d'entendre des pas. Le soldat nous suit. Et si c'était de lui la raison pour laquelle tout le monde avait si peur de la forêt ? Le danger dont parlait la directrice ? 

-Anastasia..., gémi le garçon, terrorisé.

-Cours, ai-je répondu d'un ton ferme 

Il ne se fait pas prier et fonce à toute vitesse vers le lac, je le suis. J'aperçois Aydan tirant la barque au bord, il sursaute en nous voyant courir

-Qu'est-ce qu'il se passe ?! Ana, qu'est ce qu'il se passe ? 

-Il y avait un type avec un masque et une tenue de soldat, il faut y aller, je réponds en hâte.

Deux autres enfants qui avaient eux aussi pris une barque pour essayer de le sauver la regagnent  et repartent en même temps que moi, Aydan et Jeremy. Dans notre bateau, le petit s'accroche à ma robe rose maintenant trempée pendant que je regarde en arrière, m'assurant que le soldat reste dans la forêt. Je remarque soudain quelque chose d'étrange. Dans l'autre barque, une fille blonde et un garçon brun, que je devine avoir environ treize ans. La fille, Lygia, tremble violemment et semble figée dans une scène surréaliste. Ses yeux, vides et perdus, ne reflètent aucune émotion. Lentement, elle glisse sa main dans sa poche et en sort un couteau. Mon cœur se fige. Je secoue l'épaule d'Aydan, mes doigts tremblants, et désigne la scène du doigt.

-Hé, qu'est-ce que tu fais ?! criai-je, ma voix déraillant sous l'incrédulité.

-Lygia... jette ça à l'eau, s'il te plaît, implore Aydan, sa voix marquée d'une inquiétude sourde.

Mais elle ne le fait pas. Lygia nous fixe, les joues ravagées de larmes. Son regard, plein de désespoir, vacille un instant. Elle semble hésiter, mais soudain, dans un geste brutal, elle tend le bras, une sensation de froid glaciale me traverse le corps. Avant que nous ayons le temps de réagir, la lame traverse l'air et vient trancher la gorge de son compagnon.



Le garçon s'appelait Abel. Il vivait à l'école depuis que ses parents, tous deux victimes de la Grande Guerre, étaient morts il y a sept ans. Abel était généreux, plein de vie et d'ambition. Son rêve était de parcourir le monde, de voir des cascades surtout, de gravir des montagnes, de se perdre dans les déserts. Il voulait découvrir chaque recoin de la planète. Il voyait en nous, les autres enfants, sa famille. Il nous aimait tous, même Lygia. Alors, pourquoi ? Pourquoi Lygia l'a-t-elle tué ? Mais ce n'est qu'un rêve... n'est-ce pas ? Un cauchemar ? Ou pire, est ce que tout ceci pourrait être réel ? Mes yeux restent fixés dans le noir béant de ma chambre d'internat. Immobile prise de tremblements violents, je sens mon corps incapable de bouger, paralysé par l'horreur de ce que j'ai vu.

DaydreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant