Chapitre 6: Le pacte de silence

25 3 1
                                    

Je me rend au musée en ignorant le mystérieux bleu à la jambe apparu cette nuit, à l'endroit même où mon genou a cogner contre un rocher la veille. Plus rien ne m'étonnes, je ne sais même plus si le passé est seulement un rêve, ou bien si ma vie actuelle est un échappatoire imaginaire. Le tableau, aujourd'hui recouvert d'une peinture grisâtre, dégage une ambiance lugubre, bien plus triste que les précédents. Une petite fille vêtue d'une robe blanche se tient seule dans l'un des longs couloirs de Tormhill. L'atmosphère y est pesante, et un profond sentiment de solitude résonne à travers les murs. Est-ce que tout le monde va mourir cette nuit ? Est-ce que cette petite sera la seule à survivre ? Je ne veux pas y retourner.

-À ce que je vois, tu commences à réellement apprécier l'art, Anastasia.

Je sursaute. M. Damir se tient derrière moi, cet homme a un talent inouï pour me surprendre. Je chasse rapidement l'image du garçon égorgé de mon esprit.

-Oui, j'aime ça maintenant.

-Les employés du musée m'ont dit que tu venais tout les jours admirer ce tableau. Qu'est-ce qui t'attire tant dans cette œuvre ?

Les mots restent coincés dans ma gorge, un nœud me serre, rendant la tâche difficile.

-Il semble toujours changer. À chaque fois, j'y vois quelque chose de différent.

Il hoche la tête, comme si mes paroles avaient un sens, avant de sombrer dans le silence pendant deux longues minutes.

-Est-ce vrai, ce que tu m'as dit la dernière fois au sujet de tes parents ?

Je ne m'attendais pas à ce qu'il y repense, et encore moins à ce qu'il m'en parle.

-C'est vraiment important pour vous ?

-Oui, ça l'est, répond-il d'un ton ferme.

-Et bien, vous savez, ils n'ont pas beaucoup de temps. Leur vie est chargée.

-Ce n'est pas une raison pour négliger leur fille.

-Ce n'est pas le cas.

C'est pourtant clairement la vérité, mais ma fierté refuse de l'admettre. Mon professeur soupire, puis me tend une petite boîte médicale blanche remplie de pilules.

-C'est pour t'aider à dormir. Ne dis rien, je pourrais avoir des ennuis. Anastasia, je peux te faire confiance, n'est ce pas ?

Impossible, il m'a vraiment acheté des somnifères ?

-Euh... Oui, merci.

Je jette un dernier regard au tableau, m'assurant que la date suit bien la chronologie. Mais cette fois, les gravures noires annoncent : « date indéterminée ».



On s'est tous déjà réveillés d'un cauchemar, en sueur, parfois en larmes, parce que la mort nous est tombée dessus. Puis on se rassure, on se rendort, et tout semble s'évanouir. On se berce de l'illusion que ce n'était qu'un produit de notre imagination. Mais personne ne s'est jamais demandé, pendant un temps, si tout cela était réel. Pourquoi cela ne serait-il qu'une fabrication de notre esprit ? Ce gamin est-il vraiment mort ? J'ai peur, terrifiée par l'idée de voir tous ces enfants se faire abattre, mais tout semble flou, trop flou.



J'ai froid. Pourquoi ai-je froid ? Je suis pourtant bien protégée : un toit au-dessus de ma tête, des murs autour de moi, une couverture qui m'enveloppe. Tout devrait aller. Mes peluches me rassurent, ou du moins, elles devraient le faire. Je ne devrais même pas en avoir, mais elles sont là, dans un coin de ma mémoire. Pourquoi me rassurent-elles, au juste ? Pourquoi cette sensation de froid persiste-t-elle ? Des cris résonnent en bas, comme un écho lointain. Mon père hurle. Il faudrait que j'aille l'aider, mais mes jambes restent immobiles, comme figées dans une brume épaisse. Des bruits métalliques retentissent, et mes parents sont là-bas, quelque part en bas. Une peur indéfinie m'envahit J'ai froid. Ma mère pousse un cri, puis c'est au tour de mon père de pleurer, un son déchirant, mais lointain. Puis, un coup de feu résonne, et tout s'éteint. Plus rien. Mon père ne crie plus.

DaydreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant