Quelques minutes plus tôt :
Le son strident d'une cloche me perce les tympans, ce son se prolonge dans un écho. Je me réveille en sursaut dans une salle de classe. Sérieusement ? Il a fallu que je m'endorme dès le premier jour de lycée. Une femme vêtue d'une longue robe de soie rouge, d'apparence à la fois ancienne et étonnamment neuve, sourit avant de nous annoncer d'une voix chantante :
-Photo de classe, les enfants ! Sortez un par un et dirigez vous vers le jardin, s'il vous plaît.
Je me lève mécaniquement, imitant mes camarades.
-Quel délicieux mardi, Anastasia, me dit la femme avec un sourire.
-On est lundi, répondis-je en me frottant les yeux.
Elle éclate d'un rire faux et me donne une tape sur l'épaule.
-Oh, je t'assure, c'est mardi.
Je fronce les sourcils. Avais-je dormi un jour entier sans m'en rendre compte ? Instinctivement, je cherche mon téléphone, mais je réalise que mon uniforme - que je ne me rappelle absolument pas avoir mis - n'a pas de poche. Et surtout, je ne devrais pas porter d'uniforme ! Ce lycée n'en impose pas. Je plisse les yeux, déconcertée. Mon esprit commence à saisir que quelque chose ne tourne pas rond. Mon uniforme semble trop lourd, trop irréel. Je n'ai aucun souvenir de mon entrée au lycée, des premiers cours, de rien. Comment se fait-il que je sois ici après une journée entière passée au musée ? Et pourquoi est-il encore jour, alors qu'il devrait faire nuit ?
-Je ne suis pas dans mon lycée...
En prononçant ces mots, un frisson me parcourt. La fatigue laisse place à un malaise profond. La femme rit nerveusement.
-Lycée ? Allons, tu es à Tormhill, ma chère.
Je me tais, peut-être suis-je encore à moitié endormie. Je continue à marcher vers la sortie, mais une sensation d'épuisement soudain revient. Je me sens engourdie, avançant comme un automate, à peine consciente de mes propres actions. Tout cela semble irréel. Ai-je rêvé, ou bien est-ce autre chose ? Alors que je tente de reprendre mes esprits, la sensation étrange disparaît à nouveau.
-Qui êtes-vous ? demandai-je finalement à la femme.
Elle me regarde, perplexe, comme si ma question était une mauvaise blague.
-Anastasia, tu vas bien ? répondit-elle en riant faiblement.
J'essaye de parler, mais ma voix reste coincée dans ma gorge, comme si quelque chose me retenait. Elle soupire, comme si elle se lassait de ce jeu.
-Rejoins simplement tes camarades pour la photo, d'accord ?
Je n'ai pas d'autre choix que de la suivre. Fuir serait insensé. En rejoignant le groupe, un étrange sentiment de déjà-vu m'envahit. L'endroit où je me tiens... Je le reconnais. C'est exactement là où la fille du tableau se trouvait, avec le même uniforme, au milieu de la même classe. Mon voisin de droite attrape doucement mon poignet, ce qui me fait sursauter.
-Anastasia ? Tu es sûre que ça va ?
Le garçon a l'air sincèrement inquiet. Mais lorsqu'il tourne complètement la tête vers moi, je manque de hurler. La moitié de son visage est horriblement brûlée. Avant que je puisse réagir, un flash éblouissant, celui de l'appareil photo, brouille ma vision. Je sens mes jambes céder sous moi et je tombe...
Je me réveille en sueurs. Qu'est-ce qu'il vient de m'arriver ? Tout cela semblait tellement réel.
Le lendemain, au musée, je cherche désespérément le tableau qui m'a tant troublée. À la place, une guide m'explique avec un sourire poli :
-Nous n'avons jamais exposé de tableau représentant une classe en uniforme ici. Vous êtes sûre que ce n'était pas dans un autre musée ?
Je soupire et détourne le regard, honteuse.
-Non, je... J'ai dû rêver. Désolée.
Je retourne à l'emplacement où le tableau était la veille. Aujourd'hui, une nouvelle toile de la même taille est accrochée. Elle représente un petit garçon roux adossé à un arbre, lisant tranquillement un livre. Je l'observe pendant de longues minutes, essayant de remettre mes pensées en ordre. Peut-être n'était-ce qu'un rêve... mais pourquoi ce sentiment persistant de malaise, cette sensation que quelque chose essaie de me convaincre que tout ceci est réel ? Mon regard se fixe sur un détail que je n'avais pas remarqué au départ : une silhouette féminine en arrière-plan, courant vers le garçon, vêtue d'une longue robe verte à rayures blanches. Je m'approche pour voir de plus près, et mon cœur s'arrête net. C'est moi. Mon visage, mes traits, mes expressions, tout. Je ne délire pas, cette fille dans le tableau, c'est littéralement moi.
La journée au lycée commence, mais mon esprit reste piégé dans les souvenirs de ce rêve troublant. Je m'efforce de rester concentrée pour ne pas sombrer à nouveau dans l'inconnu. Je n'ai pas envie de m'endormir cette fois-ci. Après les cours, j'essaie de marcher dans les couloirs, à la recherche de M. Fortune, l'ami de mes parents. Alors que je passe près d'un amphithéâtre, une voix m'interpelle :
-Anastasia Marian !
Je m'arrête, hésitante. Un homme, au centre de la salle, me sourit largement.
-Viens, n'aie pas peur.
Est-ce que j'avais peur ? Oui. J'étais pétrifiée à l'idée de me montrer devant tout un amphithéâtre avec un inconnu qui ne connaît que mon nom d'une manière inconnue. Mais je m'approche avec peu d'entrain vers cet homme. Il était petit avec de grandes lunettes rondes, il semblait plutôt amical, mais la centaine d'étudiants qui nous observaient rendait la scène plus que malaisante. L'homme brise le silence gênant avec une grande annonce :
-Mes chers élèves, voici Anastasia Marian, qui peut sembler banale à première vue...
Je me crispe, je l'ai mal pris.
- ... mais c'est une icône !
Voilà que je préfère.
-Elle a dans le sang l'âme d'une grande artiste...
Il ne va quand même pas parler de...
- car c'est la fille de William et Rose Marian !
Mon estomac se noue. Pourquoi faut-il toujours revenir à eux ?
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Daydream
PertualanganOn rêve des fois, on peut même vivre en rêve, mais ce genre d'expériences lucides ne dure que quelques minutes. Cependant, Anastasia en fait chaque nuit et son imagination reflète toujours ce que ce tableau lui montre : un monde tout juste sorti de...