Chapitre 23

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  Un soubresaut me réveille, projetant ma tête contre la vitre. « Terminus Eau », annonce le conducteur. Je me masse le cou, douloureux d'avoir été contrait d'effectuer des positions d'origamis pendant tout le trajet.

  J'attrape mon sac, et saute à pied joint du marche-pied sur la terre ferme. J'inspire une grosse bouffée d'air marin. Ah, que c'est bon d'être chez-soi ! Le bus nous a laissés à l'entrée de la Vallée, sur la partie la plus haute de notre territoire. Ce dernier se compose d'une grande baie rocheuse, sur laquelle des petites habitations s'entassent les unes sur les autres. Les plus riches habitent tout en haut, alors que les plus pauvres, comme ma famille, doivent descendre en bas. Un peu comme une pyramide sociale inversée.

  Je hausse les épaules. Cela ne m'a jamais dérangé. Ma maison se trouve au plus bas de la montagne, sur l'océan. C'est formidable, car je suis en connexion directe avec mon élément à n'importe quel instant, par les vagues qui lèchent les pilotis qui soutiennent notre habitation. Paradoxalement, c'est mal vu, car considéré comme tout en bas de l'échelle sociale. Mais moi, je m'en fous. J'adore m'allonger sur le pont, la nuit, et écouter le doux chant de l'eau.

  J'entreprends la laborieuse descente, qui va me prendre une sacrée heure. Je progresse à un rythme lent, désireuse de me reconnecter avec chaque petit détail de mon territoire natal. Les arbres, les ponts, les passages secrets. Je caresse la paroi rocheuse sous mes doigts, et saute sur une passerelle, en admirant le paysage tout autour de moi. Je comprends un peu Hélios, quand il dit en avoir marre de son désert perpétuel. Cela doit être fatiguant, visuellement parlant. Une étendue infinie, de la même couleur, sans creux ou aspérités...

  Ma condition physique me permet de descendre en à peine quelques minutes, grâce à l'impressionnante vitesse que j'ai développée depuis mon entrée à l'Académie. Je suis impatiente de montrer mes progrès à mon père. Il sera fier de moi.

  Les habitations d'en haut laissent place progressivement à des plus petites, plus entassées, quelque fois avec des portes ou des fenêtres manquantes. J'aperçois quelques mètres plus loin ma maison, et ne peux m'empêcher de sourire. Pas besoin de grandes habitations ou de voitures de luxe pour être heureuse.

  Rien n'a changé depuis mon départ. Même toit dégarni, même unique fenêtre donnant sur l'océan. Même petite parcelle de jardin. Le ciel commence à se teinter de rouge, à cause du soleil descendant. Mes parents devraient être rentrés du travail, à cette heure là.

  J'inspire une dernière fois, et frappe à la porte. Mon cœur commence à battre un peu plus rapidement, car je sais ce qui m'attend. Il faut que j'aie cette discussion, afin d'éclaircir rapidement la situation. J'ai beaucoup trop attendu, pensant que cela n'arrivera jamais, et j'ai sans doute mal fait. Si j'avais eu les réponses plutôt, peut-être que cela m'aurait sauvé de pas mal de situations épineuses, à l'Académie. Ma mère ouvre la porte, et marque un temps d'arrêt assez conséquent, n'y croyant pas ses yeux.

- Ma chérie, s'écrie-t-elle. Aucune nouvelle de toi depuis des mois ! On s'inquiétait tellement !

  Elle m'étouffe à coups de câlins prolongés, avant de m'intimer de rentrer à l'intérieur. Mon père s'amuse de la situation, et attend calmement son tour. Il ouvre les bras, et je me jette dedans. Il m'a tellement manqué. C'est la personne la plus importante, pour moi. Mon idole.

  Je m'assois à la seule et unique table, située dans le salon, qui me sert accessoirement d'endroit où dormir. Ma mère me sert un verre de Coca bien frais, en me faisant un clin d'œil :

- J'en ai gardé au cas où, rien que pour toi, même si je ne savais pas quand tu allais revenir. Pourquoi ne nous as-tu pas écrits ?

  Je bois la première gorgée avec délectation, qui est toujours la meilleure soit dit au passage. D'accord, directement dans le vif du sujet, donc. Je les regarde à tour de rôle, en me mordant les lèvres.

- Papa, maman. Il faut que je vous dise quelque chose. Mais d'abord, je vais vous montrer.

  Je dénoue mes cheveux, et leur montre ma longue crinière. Ils poussent une exclamation horrifiée, de concert. Se regardent longuement dans les yeux. Reviennent à moi.

  Les mèches blondes sont pratiquement remontées jusqu'en haut de mes racines. C'est un miracle que personne ne l'ai remarqué, à l'Académie. Cette petite retraite tombe à point, car je dois vraiment faire quelque chose pour cacher se désastre.

  Ma mère se laisse tomber sur la première chaise venue, et se prend la tête entre les mains. Mon père à le regard neutre, comme à son habitude. En parfaite maîtrise de soi-même. Je me suis toujours demandé ce qu'il faisait, avant. Avant de rencontrer ma mère, avant d'échouer ici dans la pauvreté, avant cette guerre humaine. Car mon père est un très vieux vampire, et très respecté, dans la Vallée. Mais il n'a jamais voulu me dire comment il en était arrivé à là.

  Je regarde d'un œil circonspect mon père, ce qui n'échappe pas à ma mère. Il n'est pas censé être au courant, pour le Roi. Et je n'ai pas envie de faire éclater ma famille en mille morceaux, avec ces révélations.

  Elle pousse un long soupir, ferme brièvement les yeux, et lance :

- Il peut rester. Dis-moi, de quoi es-tu au courant, et depuis quand ?

  Je grimace, et dodeline de la tête. J'aimerais plutôt savoir sa version à elle, en premier lieu.

- Sache que je n'ai jamais voulu ça pour toi, et je m'en veux terriblement, débute ma mère.

  Je fronce les sourcils. De quoi est-ce qu'elle parle ? C'est le Roi qui lui a fait tout ces choses atroces !

  Elle reprend sa respiration, et devant mon mutisme évident, poursuit son récit :

- Il y a seize ans, j'ai rencontré ton père, à la Cour.

 Vampire Académie (Olone Nero t. 1) [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant